Sang Royal
plusieurs révérences. Comme je m’éloignais je pensai qu’il ne s’agissait pas là d’une mission de charité. Je protégerais un homme pour qu’il soit en état d’affronter les tortionnaires de la Tour. Et qu’avait bien pu faire ce Broderick pour amener dans les yeux de Cranmer cette lueur d’effroi ?
Ma songerie fut interrompue par un bruit de voix de l’autre côté de la porte. Je réveillai Barak d’un léger coup de pied. Nous nous mîmes debout en toute hâte, et la douleur de nos courbatures nous arracha à tous deux une grimace. La porte s’ouvrit sur un homme vêtu d’une robe d’avocat passablement élimée. Messire Wrenne était un homme bien charpenté, très grand, qui dépassait Barak d’une tête. Je fus soulagé de constater que, malgré son âge avancé et son visage carré marqué de profondes rides, il marchait bien droit, d’un pas ferme, et que ses yeux bleus, à peine dissimulés sous des cheveux d’un blond-roux terni, étaient très vifs. Il me saisit la main.
« Messire Shardlake ! lança-t-il d’une voix claire, fortement marquée par l’accent local. Confrère Shardlake, devrais-je dire plutôt… Giles Wrenne. Quel plaisir de vous voir ! Nous craignions que vous ayez eu quelque accident en route. »
Je notai que, pendant qu’il m’étudiait, il ne laissait pas son regard s’attarder sur ma bosse, contrairement à la plupart des gens. C’était un homme délicat.
« Je me suis égaré, hélas ! Permettez-moi de vous présenter Jack Barak, mon assistant. »
Celui-ci inclina le buste avant de serrer la main que lui offrait Wrenne.
« Seigneur Dieu ! voici une poignée de main exceptionnellement vigoureuse pour un secrétaire d’avocat ! s’exclama le vieil homme en lui donnant une claque sur l’épaule. Ravi de faire votre connaissance. De nos jours nos jeunes gens font trop peu d’exercice, et la plupart de nos clercs ont des mines de papier mâché… » Il regarda les bols vides. « Je vois que ma bonne Madge vous a donné à manger. Excellent ! » Il se dirigea vers la cheminée. Le faucon se tourna vers lui, faisant tinter la clochette attachée à sa patte, et laissa Wrenne lui caresser le cou. « Alors, ma vieille Octavie, tu es restée bien au chaud ? » Il s’adressa de nouveau à nous, le sourire aux lèvres : « Cet oiseau et moi avons chassé ensemble dans la campagne yorkaise durant un grand nombre d’hivers, mais nous sommes tous les deux trop vieux, désormais. Rasseyez-vous, je vous en prie. Je regrette de ne pouvoir vous héberger durant votre séjour en ville. » Il s’installa avec précaution dans un fauteuil et jeta un regard triste aux livres et au mobilier poussiéreux. « Depuis la mort de ma pauvre femme, il y a trois ans, je crains de ne pas avoir suivi son exemple en matière de ménage. Un homme seul… Je n’ai pour serviteurs que Madge et un jeune valet. Madge se fait vieille, et l’on ne peut lui demander de s’occuper de trois personnes. C’était la femme de chambre de mon épouse. »
Au temps pour la théorie de Barak ! pensai-je.
« Nous sommes logés à Sainte-Marie, mais je vous remercie.
— Certes, fit Wrenne en souriant tout en se frottant les mains. Et il y aura beaucoup de choses intéressantes à y observer… Le cortège dans toute sa splendeur quand il arrivera… Mais vous avez sans doute besoin de repos. Je vous propose de revenir tous les deux demain matin à dix heures et nous pourrons passer la journée à examiner les placets.
— Très bien. Il semble qu’on fasse beaucoup de travaux à Sainte-Marie », ajoutai-je.
Le vieil homme hocha la tête. « On dit que bon nombre de merveilleuses constructions sont en cours d’érection. Et que Lucas Horenbout s’y trouve pour tout superviser.
— Horenbout ? L’artiste hollandais du roi ? »
Wrenne opina du chef, son éternel sourire aux lèvres. « La rumeur suggère que c’est le plus grand décorateur du pays après Holbein.
— En effet. Je ne savais pas qu’il était là.
— Il paraît que l’on prépare l’endroit pour quelque cérémonie grandiose. Je ne l’ai pas vu, car seuls ceux qui ont quelque chose à y faire ont le droit d’entrer dans Sainte-Marie. Certains prétendent que la reine est enceinte et qu’elle doit y être couronnée. Mais personne ne peut l’affirmer… Avez-vous entendu dire quelque chose à ce sujet ? ajouta-t-il.
— Seulement les mêmes rumeurs. » Je me
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