Sang Royal
rappelai l’agacement de Cranmer quand j’avais abordé le sujet.
« Ah, bien ! Nous, les gens d’York, nous le saurons quand on jugera bon de nous mettre au courant. »
Je le dévisageai, curieux de la note d’amertume que je venais de percevoir sous le franc-parler.
« Peut-être la reine Catherine sera-t-elle couronnée, dis-je. Après tout, voilà plus d’un an qu’elle est en place. » Je fis cette remarque délibérément, dans le but d’indiquer que je n’étais pas l’une de ces personnes guindées au service du roi qui ne parlent de Sa Majesté que d’un ton révérencieux.
Wrenne hocha de nouveau la tête, tout sourire, pour montrer qu’il avait compris. « Eh bien ! nous avons du pain sur la planche. Je suis content que vous m’aidiez. Nous allons devoir éliminer les requêtes stupides, telles que celle de l’homme, dont j’ai lu le dossier hier, qui cherche querelle au Conseil du Nord à propos d’un pouce de terre. » Il éclata de rire. « Mais, confrère, vous devez avoir l’habitude de ce genre d’inepties.
— En effet. Je suis spécialiste de droit foncier.
— Vous allez regretter de m’en avoir informé, monsieur. » Il fit un clin d’œil à Barak. « Car désormais je vais vous confier tous les dossiers fonciers. Je garderai les dettes et les différends avec les autorités subalternes.
— Ne s’agit-il que de ce genre d’affaires ? demandai-je.
— Oui, dans l’ensemble. » Il haussa les sourcils. « On m’a expliqué que l’important était de montrer que le roi s’intéresse à ses sujets du Nord. Nous arbitrerons les petites querelles sous l’autorité du roi, renvoyant les plus graves devant le Conseil royal.
— Comment allons-nous mener nos arbitrages ?
— Au cours d’audiences sans protocole et grâce à une délégation de pouvoir. Je présiderai les séances, en votre compagnie et en celle d’un représentant du Conseil du Nord. Avez-vous déjà effectué ce genre d’arbitrage ?
— Oui. Ainsi donc, le roi n’interviendra pas personnellement dans les petits dossiers ?
— C’est cela. Il se peut cependant que nous le rencontrions. »
Barak et moi nous redressâmes brusquement tous les deux.
« Comment cela, monsieur ? »
Wrenne inclina la tête. « Depuis Lincoln, dans toutes les villes et autres lieux, le roi a reçu les suppliques des nobliaux du coin et des échevins qui, il y a cinq ans, se trouvaient avec les rebelles, implorant son pardon à genoux. Il cherche à se les attacher à nouveau en leur faisant prononcer des serments d’allégeance. Il est intéressant de noter qu’ordre a été donné d’empêcher qu’un trop grand nombre de solliciteurs ne se regroupent en même temps. L’entourage du roi a toujours peur, voyez-vous. Un millier de soldats escortent le cortège et l’artillerie royale a été envoyée à Hull par bateau.
— Mais il n’y a pas eu de troubles ? »
Il secoua la tête. « Aucun. Mais il s’agit avant tout de mettre en scène la reddition la plus humiliante. Ici, à York, les suppliques doivent constituer le spectacle le plus majestueux qui soit. Vendredi, les échevins rencontreront le roi et la reine devant les murs de la ville, vêtus d’humbles tuniques, afin de jurer allégeance et de présenter leurs excuses pour avoir laissé les rebelles s’emparer d’York et en faire leur capitale en 1536. Les habitants de la ville n’assisteront pas à la cérémonie, d’une part parce que ce ne serait pas bon pour le peuple de voir leurs édiles ainsi humiliés (Wrenne arqua ses épais sourcils) et, d’autre part, parce que ce spectacle risquerait, en fait, de les monter contre le roi. Les échevins doivent offrir des présents à Leurs Majestés, de grandes coupes pleines de pièces. On a fait la quête auprès des habitants. » Il eut un sourire narquois. « Ils ont cédé à d’amicales pressions. » Il prit une profonde inspiration. « Et on parle de nous faire assister, nous les avocats du roi, à la cérémonie afin de lui présenter officiellement les requêtes.
— On sera donc jetés au cœur de la mêlée. » Et ce, malgré les promesses de Cranmer, pensai-je à part moi.
« Ce n’est pas impossible. Tankerd, le sénéchal, est dans tous ses états à propos du discours qu’il doit prononcer. Les édiles envoient constamment des courriers au duc de Suffolk pour s’assurer que tout est préparé selon les désirs du roi. » Il sourit.
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