Sang Royal
d’humeur joyeuse ou sombre ?
— Il était d’humeur extrêmement joyeuse… Comment va Broderick ?
— Il dort. Il a mangé tout à l’heure. Un repas préparé sous mes yeux dans la cuisine particulière de Sa Majesté par le cuisinier du roi en personne. Je l’ai apporté à Broderick et l’ai regardé manger.
— Il vaut mieux que je le voie.
— Très bien. » Radwinter se leva et ôta les clefs de sa ceinture, avant de poser à nouveau sur moi un regard interrogateur.
« Le roi vous a-t-il parlé ?
— Un mot seulement.
— C’est un grand honneur.
— En effet. »
Il sourit. « A-t-il fait une remarque sur votre plaie ?
— Non. Pas du tout. » Je sentais la colère monter en moi.
« Alors, que s’est-il passé ? Il me semble avoir touché un point sensible… Ah ! il a fait un commentaire sur votre bosse ? Je sais qu’il déteste les gens difformes, bien que Will Somers, son bouffon, soit bossu. On le dit superstitieux. Peut-être que vous voir… »
Je me ruai sur lui. Je n’avais pas réagi de la sorte depuis mes années d’études… Je le saisis à la gorge avant de le plaquer violemment contre le mur de pierre. Mais il était plus fort que moi… Il leva la main, me tordit le bras pour se dégager et me projeta contre le mur. Les soldats se précipitèrent vers nous mais Radwinter les arrêta d’un geste.
« Tout va bien, dit-il d’un ton doucereux. Messire Shardlake est d’humeur querelleuse, mais je l’ai bien en main. Inutile de signaler l’incident pour le moment. » Les soldats me regardèrent d’un air perplexe. Appuyé contre le mur, essoufflé, je respirais avec difficulté. Radwinter souriait, aux anges.
« Connaissez-vous la peine encourue pour une bagarre à l’intérieur du domaine de la Cour ? La perte de la main droite. Sur ordre particulier du roi. Et si un homme responsable d’un prisonnier important attaque son gardien… ? » Il secoua la tête, puis me lança un regard de triomphe. « Je vous tiens à ma merci, si je le souhaite, monsieur, reprit-il d’une voix tranquille. N’oubliez pas que les soldats ont été témoins de la scène. » Il éclata de rire. « Je savais qu’il n’y avait qu’à jouer sur votre haine de ce que vous êtes, un bossu éclopé et aigri, pour vous faire perdre la maîtrise de vos nerfs.
— Et vous, vous êtes la mort ! rétorquai-je avec fureur. Vous êtes le grand fléau, le contraire de tout ce qui est bon et vivant sous le soleil ! »
Il partit à nouveau d’un rire joyeux. Soudain, mon courroux me quitta. À quoi bon s’emporter contre cet homme ? Autant se mettre en colère contre un chien enragé. « Ouvrez-moi la cellule ! » dis-je.
Il s’exécuta, m’invitant à passer d’un profond salut moqueur. Je pénétrai avec un véritable soulagement dans le réduit humide. Couché sur sa paillasse, Broderick leva les yeux vers moi. Il était sale et sentait toujours le vomi. Je décidai d’ordonner qu’on le lave. Il fixait sur moi un regard interrogateur ; sans doute avait-il entendu toute la scène qui s’était déroulée dans le couloir.
« Je suis venu voir comment vous allez », dis-je d’une voix blanche.
Il continua à me fixer, puis fit un geste de son bras maigre. « Venez ! Agenouillez-vous près de moi, dit-il, et je vais parler. Il ne pourra pas entendre, cet homme que vous appelez la mort. Cela le mettra hors de lui. » J’hésitai, puis m’agenouillai avec précaution. Mes malheureux genoux craquèrent. Les yeux de Broderick se posèrent sur le bonnet écrasé que je tenais toujours entre mes mains.
« Le roi a donc été cruel envers vous », murmura-t-il.
Je restai coi.
« Oui, c’est un homme cruel. Il frappe le plus durement possible, par simple plaisir, comme Radwinter, reprit-il. Le sort réservé au pauvre Robert Aske le montre clairement.
— Je ne dis rien contre le roi.
— C’est la Taupe.
— Oublions cette vieille légende ! dis-je d’un ton las.
— Il ne s’agit pas d’une légende, mais d’une prophétie ! rétorqua Broderick. C’est une prophétie. Tout le monde était au courant durant le Pèlerinage de la Grâce. Merlin a annoncé « la Taupe », le tyran qui serait chassé de son royaume ainsi que toute sa descendance. Aucun de ses enfants ne lui succédera. » Je scrutai son visage. Oldroyd avait dit quelque chose de très semblable juste avant de mourir.
Il tendit la main et saisit mon bras avec
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