Sang Royal
elle était plus rayonnante de santé que de beauté. Les sourcils froncés, l’air un peu triste, comme si la cruauté du roi la peinait, elle s’éloigna d’un pas vif en direction de son cheval. Derrière moi, je perçus le bruissement général des Yorkais se relevant enfin.
Je me penchai pour ramasser mon bonnet et la plume. Je restai quelques instants rivé sur place, l’esprit vide, médusé et accablé de douleur. Puis je sentis une nouvelle crampe à l’estomac. Je cherchai Giles du regard, mais il était parti. Je vis sa haute silhouette s’éloigner et se fondre dans la foule des Yorkais. Beaucoup me regardaient, ricanant ou souriant d’un air moqueur. Très gêné, Tankerd se tenait toujours près de moi. Je lui saisis le bras.
« Confrère Tankerd, chuchotai-je. Je dois me rendre aux cabinets d’aisances, tout de suite. Où puis-je aller ? »
Pour toute réponse, il désigna la longue baraque dans la prairie. « Là-bas derrière. » Je compris alors à quoi servaient les planches percées de trous. « Mais il va falloir vous presser, car la moitié du conseil municipal vous a précédé. » En effet, des hommes se détachaient de la foule des Yorkais, silhouettes en robe brune qui traversaient la prairie en trébuchant. Je leur emboîtai le pas à vive allure, poursuivi par de nouveaux éclats de rire. J’avais les oreilles en feu. Devant moi, un gémissement de désespoir poussé par un échevin titubant m’apprit que pour lui il était déjà trop tard…
Je repris le chemin de la ville à cheval au milieu des Yorkais, derrière le cortège royal et les soldats mais devant la vaste procession bourdonnante, dont je sentais la menace dans mon dos. Les paroles du roi m’avaient abasourdi… Et comment ne pas prêter attention aux coups d’œil narquois qu’on me jetait en biais ?
Nous passâmes sous Fulford Gate et rentrâmes dans York. Les rues étaient bordées de spectateurs, à présent, retenus par les soldats. J’entendis des vivats plus loin devant nous au passage du roi, mais ils me parurent clairsemés. Je cherchai du regard Barak et Tamasin, sans résultat. Je savais que la cérémonie suivante serait la réception par le roi de ceux qui avaient été directement impliqués dans la rébellion de 1536 mais qui n’avaient pas été exécutés parce qu’on avait besoin d’eux pour des raisons politiques. Ils devraient, disait-on, se traîner sur le ventre devant la cathédrale. Ensuite, le roi entendrait la messe et les cérémonies officielles seraient terminées.
Je n’avais qu’une envie : m’échapper. Je profitai d’une brèche dans la troupe de soldats pour me glisser dans une rue latérale et me diriger vers Sainte-Marie. Les sarcasmes du roi parviendraient jusqu’à Lincoln’s Inn – les médisances des avocats pouvant atteindre la lune. Le souvenir de cette journée me hanterait toute ma vie. Quant au péril que je courais à déambuler seul dans les rues, je n’en avais cure, désormais.
Sans même une petite tape d’adieu, je laissai Genesis à un palefrenier dans l’église et m’éloignai. Giles m’a abandonné à mon triste sort, pensai-je en fronçant les sourcils. N’aurait-il pas dû rester avec moi, prononcer quelques paroles de réconfort afin d’amoindrir un peu ma honte ? Je m’immobilisai, indécis, peu enclin à affronter seul dans ma cabine mes amères pensées. Je décidai d’aller vérifier l’état de santé de Broderick. L’atmosphère de la prison s’accorderait à mon humeur.
Je répondis au salut du garde par un bref signe de tête. Assis sur une chaise devant la porte de la cellule, Radwinter était en train de lire L’Obédience d’un chrétien, livre qui vantait le rôle du roi en tant qu’oint du Seigneur. Le geôlier avait recouvré son aspect soigné et sa confiance en lui habituels, notamment parce que ses cheveux et sa petite barbe avaient été taillés par le barbier.
« Comment s’est passée la cérémonie d’accueil du roi ? » demanda-t-il. Je frissonnai. Ses yeux avaient le même éclat vif de cruauté que ceux du roi. Devant ma mine bouleversée, le misérable planta sur moi un regard acéré.
« Assez bien répondis-je d’un ton sec.
— La plume de votre bonnet est de travers. »
J’ôtai mon couvre-chef, l’écrasant entre mes mains. Radwinter me dévisagea avec curiosité.
« Ça s’est mal passé ?
— Tout s’est déroulé comme prévu.
— Le roi était-il
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