Sang Royal
l’imaginer… »
22.
MYSTIFIÉ, JE LES DÉVISAGEAI TOUS LES DEUX. Barak tendit le cou, les yeux rivés sur l’obscurité devant la résidence.
« Tu vois quelqu’un ? chuchota Tamasin.
— Non. Dieu seul sait où il est parti !
— Qui donc ? » demandai-je impatiemment.
Barak se tourna vers moi. « Écoutez, il faut qu’on trouve un endroit où l’on puisse parler.
— Le réfectoire reste ouvert jour et nuit, dit Tamasin. Pour que les soldats puissent s’y reposer entre deux gardes.
— Les soldats ? fit Barak d’un ton méfiant.
— Oui. Mais l’endroit sera presque vide à cette heure-ci. On pourra trouver une table à l’écart.
— Quelle heure est-il ? m’enquis-je.
— Près de deux heures du matin », répondit Barak. Il fit un signe de tête à Tamasin. « D’accord. Allons-y !
— Mais de quoi s’agit-il, Seigneur Dieu ? insistai-je, presque aussi bouleversé qu’eux désormais.
— Si nous le lui disons, nous le mettons en danger, dit Tamasin en jetant un coup d’œil vers moi.
— Il l’est déjà. Venez ! » Barak sortit du passage et nous entraîna d’un bon pas vers le réfectoire.
La porte était ouverte et des bougies posées sur les tables éclairaient faiblement la grande salle à manger. L’endroit était vide, à l’exception d’un groupe de soldats près de l’entrée qui buvaient en silence. Déchargés de leur plastron et de leur casque à plumes, ils prenaient quelques instants de repos devant leur verre, épuisés par les longues heures de faction debout. Barak nous conduisit jusqu’au coin le plus éloigné de la salle. « On devrait prendre une bière. » Il se dirigea vers un serviteur qui avait l’air de s’ennuyer ferme. Tamasin et moi nous installâmes. Elle baissa la tête et porta à son front une main qui tremblait légèrement, dépeignant ses longs cheveux blonds. À l’évidence, quelque chose l’avait bouleversée.
Barak reparut, posa trois chopes sur la table, puis s’assit près de Tamasin. De sa place il avait une bonne vue sur l’entrée. Il se pencha en avant, prit une profonde inspiration, et commença à parler à voix basse.
« Vous savez qu’aujourd’hui, pendant le combat d’ours et de chiens, nous sommes allés à la chasse au faucon, Tamasin, un groupe de clercs, et moi.
— Oui. »
Tamasin secoua la tête. « Ç’a été une journée de totale détente ! À cette heure j’ai dû mal à y croire.
— On a fait une bonne partie de chasse, puis, quand il s’est mis à pleuvoir des cordes, on est allés se réfugier dans un village. On n’est rentrés qu’à la nuit tombée. On s’est rendus à la résidence, mais, comme vous dormiez à poings fermés, on n’a pas voulu vous réveiller. On a mangé ici. Puis on est allés…
— Jack… » Tamasin me jeta un coup d’œil en rougissant.
« Il faut qu’il connaisse toute l’histoire, Tammy. L’un des clercs possède la clef d’une pièce dans le groupe de bâtiments monastiques, un bureau où un feu est allumé. On y est allés…
— D’accord, fis-je. Je peux deviner le reste. Mais que s’est-il passé pour vous terrifier à ce point ?
— On a quitté l’endroit il y a environ une heure. Or, Tamasin aurait dû être de retour au Manoir du roi très tôt dans la soirée. Elle dort dans le quartier des serviteurs. On s’est demandé comment elle pourrait rentrer sans se faire remarquer et moquer par les soldats qui gardent l’entrée. On a alors vu une porte où il n’y avait aucun vigile. Près de la cuisine, du côté des appartements de la reine. On a longé le flanc du manoir pour voir si cette porte était fermée. Et c’est à ce moment-là qu’on les a vus.
— Qui donc ? »
Le regard de Barak parcourut le réfectoire avant de revenir sur Tamasin. Il semblait avoir du mal à s’exprimer, puis il finit par dire : « Vous vous rappelez ce freluquet de Thomas Culpeper qui assistait hier au combat de coqs, en compagnie de Dereham ?
— Oui. Tu m’as dit que c’était l’un des serviteurs attachés à la personne du roi.
— Serviteur attaché à une personne, en effet ! s’esclaffa nerveusement Barak. Il se trouvait dans l’embrasure de la porte et prenait congé de la reine.
— De la reine ?
— La reine Catherine en personne. Je ne l’ai pas moi-même reconnue, mais Tamasin, elle… »
Tamasin opina du chef. « C’était bien elle, monsieur. Et lady Rochford se tenait à
Weitere Kostenlose Bücher