Sang Royal
vieux registres. Depuis l’enfance, chaque fois que j’étais malheureux, j’avais toujours pu m’échapper dans le monde des livres, et dès que je me plongeai dans la collection de Wrenne je sentis mon esprit et mon corps se calmer, se détendre. Quand je revins à la réalité, pensant que Lincoln’s Inn donnerait beaucoup pour avoir des copies de certains de ces comptes rendus, je m’aperçus que plusieurs heures avaient passé. Je redescendis à la cuisine, un peu gêné. Madge était en train de coudre. Je toussotai.
« Madge, je suis désolé. J’étais complètement absorbé par les livres là-haut. »
Elle me sourit pour la première fois, et son sourire était étonnamment charmant. « Ça fait plaisir de voir quelqu’un s’intéresser à la collection du maître. Ce n’est pas fréquent. Aujourd’hui, les gens disent qu’il faut faire une croix sur le passé et les anciennes façons.
— Quelle remarquable bibliothèque !
— Le maître dort. » Elle regarda par la fenêtre. Dehors, la pluie continuait à cribler la brume. « Il bruine toujours. Voulez-vous manger quelque chose ?
— Ce n’est pas de refus, répondis-je, me rendant compte que j’avais faim.
— Je peux vous apporter cela dans la bibliothèque, et une bougie. »
L’idée ne me déplut pas. « D’accord. Je pense que je vais rester encore un peu. Merci beaucoup. »
Je remontai à l’étage. Madge m’apporta une écuelle de sa potée, fade mais nourrissante, du pain, de la bière, ainsi qu’une grosse bougie à la cire d’abeille qu’elle posa sur le bureau. Tout en mangeant, je jetai un coup d’œil à l’entour. Le décor était particulièrement spartiate : aucun meuble, hormis le bureau ; un plancher nu, même pas parsemé de joncs. Combien d’années Giles avait-il travaillé ici tout seul ? Et qu’adviendrait-il de sa collection à sa mort ?
Une pensée me traversa soudain l’esprit et je me dirigeai vers les étagères où se trouvaient les recueils des textes de loi. Comme certains des registres contenant les comptes rendus des procès étaient uniques, j’espérais que certains recueils de textes de lois l’étaient également. J’explorai les étagères jusqu’à ce que je trouve un volume couvrant le dernier tiers du siècle précédent. C’était un gros livre relié en cuir marron et dont la couverture portait l’écusson de la cathédrale. Je le portai sur le bureau. Devant l’obscurité naissante, j’étais content d’avoir la bougie.
Je tournai les épaisses pages de parchemin et tombai enfin dessus… Au milieu des lois de l’année 1484, la loi que j’avais aperçue dans le coffret d’Oldroyd : Titulus Regulus, soit « Le Titre du roi ». « Loi concernant le couronnement du roi et de sa descendance… » Mon cœur se mit à cogner dans ma poitrine. J’examinai la reliure, étudiai le sceau du Parlement au bas de l’acte, le comparai avec celui des textes de loi avant et après. Il s’agissait d’une copie authentique, reliée dans ce registre un demi-siècle auparavant. Maleverer a menti, me dis-je. Cette loi n’est pas un faux. Mais je n’en avais jamais entendu parler. À un moment ou à un autre, elle avait été discrètement excisée des archives du Parlement.
Cette fois-là, je lus le texte de bout en bout. Il était court – cinq pages tout au plus – et prenait la forme d’une adresse au roi Richard III, expliquant pourquoi la Chambre des lords et celle des communes souhaitaient qu’il monte sur le trône. Après maintes expressions fleuries décrivant la décadence du pays, le texte en venait au mariage du roi Édouard IV. Je me rappelais vaguement cette histoire. Le roi Édouard, le grand-père de notre présent souverain, avait épousé une roturière, Élisabeth Woodville, bien qu’on ait prétendu qu’il avait déjà signé un autre contrat de mariage et que, selon le texte de loi, il avait « déjà donné sa foi à dame Eleanor Butler, le susdit roi Édouard, durant toute sa vie, et ladite Élisabeth vécurent ensemble dans le péché et l’adultère… Il s’ensuit que tous les enfants et descendants dudit roi Édouard sont des bâtards et n’ont pas le droit de réclamer quoi que ce soit en héritage ».
La loi stipulait que l’héritier présomptif, le duc de Clarence, et sa lignée ayant été écartés de la succession pour trahison, il revenait au duc de Gloucester d’hériter du trône…
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