Sang Royal
avec l’aide de Dieu, je vous le rendrai en bonne forme. »
Elle opina du chef, les yeux embués de larmes mais trop fière pour pleurer devant moi. Elle me reconduisit et je m’éloignai à grands pas.
La pluie avait cessé, mais une bise mordante soufflait. Je me rappelai la nuit où Wrenne avait cité Thomas More à propos de la guerre des Deux-Roses. « Ce furent jeux de rois, comme s’il s’agissait de pièces de théâtre, jouées sur l’échafaud, pour la plupart. » Je frissonnai et repris le chemin de Sainte-Marie, cheminant au milieu de la chaussée, une main sur le manche du poignard que cachait mon manteau et à l’affût de la moindre ombre sous les porches. Telle serait ma vie, dorénavant, pensai-je.
Sainte-Marie était calme. Je longeai la masse sombre de l’église et me dirigeai vers la résidence. Au son des joyeux éclats de voix qui en fusaient, je m’arrêtai sur le seuil : il me fallait affronter les clercs, à nouveau. Je poussai la porte. L’atmosphère de la salle centrale était chaude et enfumée. Assis devant le feu, un groupe de clercs jouaient aux cartes. Ils me lancèrent tous un regard curieux, sauf Cowfold, dont Barak avait menacé d’écraser la tête contre le mur, qui détourna vivement le regard.
« Bonsoir ! lançai-je. Maître Barak est-il là ?
— Il est sorti, monsieur, dit le jeune Kimber.
— Avec une jolie donzelle », ajouta un autre, ce qui fit rire plusieurs d’entre eux. Je hochai la tête et gagnai ma cabine. Je sentis leur regard sur mon dos jusqu’à ce que je referme la porte avec soulagement. Je tournai la clef et m’étendis sur le lit.
Bientôt j’entendis les clercs quitter la résidence pour aller dîner au réfectoire. J’avais faim, moi aussi, mais d’une part je n’avais pas le courage de faire face à tous ces regards curieux, et d’autre part j’avoue que je redoutais d’aller seul jusqu’au réfectoire. Je fermai les yeux et m’endormis immédiatement.
Lorsque je me réveillai, longtemps après, des clercs étaient revenus et couchés – je les entendis ronfler et marmonner dans leur sommeil. Je sortis dans la salle où le feu brûlait encore, même si les flammes étaient très basses.
Je décidai de faire un tour pour m’éclaircir les idées. Personne ne serait dehors à cette heure. J’ouvris la porte avec moult précautions, soucieux que le grincement ne réveille pas les clercs. Les nuages s’étaient dissipés et la lune brillait. Je regardai soigneusement alentour, l’œil au guet, de crainte qu’un assaillant ne se dissimulât dans l’embrasure d’une porte, puis tournai au coin du bâtiment, où un passage voûté donnait sur un sentier menant à la rivière.
Un bruit me fit sursauter et je portai immédiatement la main à mon poignard. Quelqu’un était accroupi près du passage – deux personnes en fait. « Qui va là ? » m’écriai-je.
Barak et Tamasin sortirent du passage voûté, main dans la main. Soulagé, j’éclatai de rire, persuadé de les avoir surpris en train de s’embrasser contre le mur. Puis je vis leur visage. Tamasin écarquillait les yeux de terreur et les traits de Barak étaient figés de stupéfaction.
« Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il, Dieu du ciel ?
— Taisez-vous, Grand Dieu ! » s’écria Barak en me saisissant le bras pour me pousser dans l’ombre du passage. Il ne faut surtout pas qu’on nous voie ! siffla-t-il.
— Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui… »
Il prit une profonde inspiration. « Tamasin et moi sommes sortis, chuchota-t-il. Tamasin ne devrait pas être dehors si tard.
— Ce n’est pas très grave. Qui…
— On a vu quelque chose, monsieur, dit Tamasin. Quelque chose qu’on n’était pas censés voir.
— Je sais maintenant ce que signifiaient les paroles d’Oldroyd, souffla Barak. « Aucun rejeton de Henri et de Catherine Howard ne pourra jamais être un héritier légitime. Elle, elle le sait. » Oldroyd aussi savait. Dieu seul sait comment, mais il savait.
— Savait quoi ? Écoute, j’ai trouvé aujourd’hui quelque chose chez Wrenne. Une copie d’une loi votée par le Parlement…
— Oubliez cela ! s’écria Barak en secouant la tête, les yeux écarquillés d’agacement. Ce que savait Oldroyd n’avait rien à voir avec de vieux papiers. C’est ici et maintenant. Et la situation dans laquelle nous sommes tous les trois est beaucoup plus préoccupante qu’on n’aurait pu
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