Sang Royal

conservateur, il y avait de fortes chances qu’il ait fait partie du groupe d’avocats mené par Robert Aske en 1536. Et il était sans doute soupçonné d’avoir participé à la rébellion actuelle, voire emprisonné à la Tour, comme le fiancé de Jennet Marlin, l’autre avocat de Gray’s Inn.
    Giles reparut. À mon grand étonnement, il portait le registre contenant le Titulus, ainsi qu’un couteau aiguisé. Il me sourit tristement.
    « Tenez, Matthew ! Voyez à quel point je vous fais confiance ! » Il posa le registre sur la table et, saisissant le couteau, découpa soigneusement les pages du Titulus. « Voilà ! Je n’ai jamais traité ainsi un de mes livres », soupira-t-il. Il se dirigea vers le feu et d’une main calme mit les feuillets dans les flammes. Nous regardâmes l’épais parchemin s’embraser et se calciner.
    « Ç’a dû être un geste difficile à faire, dis-je.
    — C’est vrai, mais vous avez raison. Nous vivons une époque dangereuse. Venez à la fenêtre », dit-il en me faisant signe. Il me montra un petit homme corpulent qui marchait d’un pas ferme dans la rue menant à la cathédrale, la soutane claquant au vent. « Je l’ai aperçu de la fenêtre de la bibliothèque. Savez-vous qui c’est ?
    — Non.
    — Messire Legh. Le doyen de la cathédrale. C’était jadis le commissaire le plus craint de Cromwell. Le marteau des monastères.
    — On l’a nommé doyen ? demandai-je en me retournant vers Giles.
    — Pour surveiller l’archevêque d’York. Vous avez raison, Matthew : aujourd’hui, même les simples érudits doivent se tenir sur leurs gardes. »
    Je regardai de nouveau par la fenêtre. Une silhouette féminine avait capté mon regard. Les jupes relevées au-dessus des chevilles et les cheveux blonds voletant sur sa nuque, la femme marchait très vite dans l’étroite rue, courant presque en direction de la maison. Je reconnus Tamasin.

24.
    UN COUP SONORE FUT FRAPPÉ À LA PORTE et quelques instants plus tard Madge fit entrer Tamasin dans la salle. Le visage empourpré et l’air angoissé, la jeune fille esquissa une très brève révérence.
    « Monsieur, me dit-elle, je viens du Manoir du roi. La sentinelle m’a dit que vous étiez parti en ville et j’ai pensé que vous vous trouviez peut-être ici. Nous avons l’ordre de retourner au manoir sur-le-champ. Jack est-il là ? »
    Je hochai la tête. Madge alla le chercher. Giles sourit et fixa d’un air émerveillé la robe verte et les cheveux blonds sous l’attifet. « Dieu du ciel, s’écria-t-il, la Cour emploie de jolis messagers, en ce moment !
    — Je crains que nous ne soyons obligés de repartir sans avoir eu le temps d’examiner les placets, dis-je.
    — De toute façon, ils ne présentent guère de difficulté et nous les avons déjà étudiés. Retrouvons-nous au château à neuf heures, ainsi nous pourrons y consacrer une heure. » Il me regarda d’un air interrogateur. « Quelque chose ne va pas ? Maleverer a-t-il besoin de vous voir ?
    — Je m’attendais plus ou moins à être convoqué », répondis-je évasivement.
    Il opina du chef puis planta sur Tamasin un regard franchement admiratif, qui la fit rosir.
    « D’où êtes-vous, mam’selle ? demanda-t-il.
    — De Londres, monsieur.
    — Comme maître Barak. »
    Celui-ci apparut dans l’embrasure de la porte et fixa Tamasin d’un air inquiet.
    « Bon, fit Giles. Je vous verrai tous les deux demain matin. »
    Après que je me fus à nouveau excusé de devoir partir si vite, nous quittâmes la maison.
     
    « Que se passe-t-il ? » demanda Barak à Tamasin sitôt dans la rue. La jeune femme menait la marche d’un pas vif.
    « Ce que j’avais deviné, répondit-elle, un peu essoufflée. J’étais dans ma chambre quand lady Rochford en personne est venue me voir, la mine aussi sinistre que celle d’un ogre. Elle m’a ordonné d’aller te chercher, Jack. On a rendez-vous avec elle dans l’un des pavillons. J’ai fait presque tout le chemin en courant.
    — Apparemment, vous aviez tous les deux raison, me dit Barak. Elle veut nous parler, pas nous tuer. »
    Je pris une profonde inspiration. « On verra. »
    Tamasin posa sur moi un regard appuyé. « La convocation ne concerne que Jack et moi.
    — Je veux personnellement entendre ce qu’elle dit, rétorquai-je. Et peut-être sera-t-elle plus modérée en présence d’un avocat.
    — Vous ne connaissez pas lady Rochford,