Sang Royal

budget ?
    — Sir Robert Holgate est en discussion avec le trésorier du roi. » Son regard passa de Giles à moi. « J’ai été généreux à propos d’autres réclamations concernant le Conseil. Selon les instructions que j’ai reçues, je dois continuer à l’être, du moment que cette requête est écartée. Maître Segwike sera de toute façon payé, ainsi que les autres plaignants. Mais nous avons besoin de temps. »
    Giles opina du chef, un sourire bonhomme aux lèvres, puis se tourna vers moi.
    « Nous sommes ici pour rendre la justice, lui dis-je. Nous ne devrions pas subir de pression de la part d’un membre du jury à propos de cas particuliers.
    — Depuis quand la justice est-elle séparée de la politique ? demanda Giles d’un ton serein.
    — D’après la Constitution de l’Angleterre, la réponse à cette question est « toujours ». » Je savais que mon propos avait quelque chose de pédant, mais je refusais de laisser passer ce déni de justice.
    « Alors je vais me montrer moins accommodant avec les autres plaignants, déclara messire Waters. Je le regrette, mais telles sont mes instructions.
    — C’est donc à prendre ou à laisser, Matthew », affirma Giles. Agacé, je haussai les épaules, mais me tins coi. Si on rendait une justice équitable sur ce dossier, les autres plaideurs en pâtiraient. On appela le marchand de bois. Homme d’un certain âge, mal à l’aise de se retrouver devant nous, il expliqua son cas en bredouillant.
    « Vous ne pouvez pas mettre en doute la parole du Conseil du Nord quand il affirme qu’il réglera ses dettes, lui répondit Giles. Ses membres représentent le roi.
    — Mais quand, monsieur ? insista le vieil homme. J’ai moi-même des dettes à régler. »
    Giles se tourna vers Waters en haussant les sourcils, comme s’il se déchargeait du problème. « Bientôt, l’ami, dit celui-ci d’un ton rassurant. On s’en occupe.
    — Mais mes créanciers…
    — … doivent attendre eux aussi, rétorqua Giles d’une voix grave. Tout finira par s’arranger. Vous pouvez le leur dire, ce tribunal a confirmé que la facture sera honorée… bientôt », ajouta-t-il après une brève hésitation.
    Le marchand de bois fut renvoyé. Je le regardai partir, abattu, les épaules tombantes. Giles poussa un profond soupir et se tourna vers Waters.
    « J’espère qu’il sera en effet bientôt payé, monsieur.
    — Absolument. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir trop longtemps une ville pleine de commerçants mécontents, vu l’atmosphère actuelle.
    — Vous avez intimidé ce pauvre homme », dis-je à Giles.
    Il haussa les épaules. « Les avocats doivent être de bons comédiens et jouer leur rôle avec conviction, pour le bien de tous. » Il se renfrogna cependant et brusqua les autres plaignants. Les dossiers se succédaient tandis que dehors le vent avait viré à la tempête. Les volets du donjon claquaient violemment.
    « Bien. Voilà une bonne chose de faite ! » s’écria Giles après le départ du dernier requérant. « Une ultime journée devrait suffire pour achever la besogne, ajouta-t-il en se tournant vers Waters.
    — Vous avez mené rondement l’affaire et je vous en félicite, monsieur, déclara Waters. Réunissons-nous demain à midi afin d’en finir avec ces requêtes. »
    Je pensai soudain avec tristesse à l’arbitrage que j’avais rendu dans le Kent à propos des différends fonciers et à l’injustice qu’avait subie en l’occurrence la famille du sergent Leacon. « Barak va rédiger les procès-verbaux, dis-je. Souhaitez-vous recevoir des copies, messire Waters ?
    — Oui, merci. » Il étira ses jambes. « Comment les choses se passent-elles au Manoir du roi ? Il paraît que sir Wiliam Maleverer est chargé de la sécurité du souverain ?
    — En effet. Vous le connaissez ?
    — Non, je travaille dans l’administration. Mais il a une réputation de brutalité. Tous craignent son ambition forcenée. Certes, la tare de bâtardise produit souvent ce genre d’effet sur le caractère, expliqua-t-il avec un sourire sardonique.
    — J’ai entendu parler de cette histoire.
    — On raconte qu’il a décidé de ne se marier qu’une fois propriétaire d’un nombre de terres tel que personne ne se préoccupera plus de ses origines. Il paraît que, dans sa jeunesse, il était très amoureux d’une Neville, qui n’a pas voulu de lui. Elle appartenait à une vieille famille