Sang Royal
Dorénavant, il te faudra prévoir tes rendez-vous amoureux pour les moments où je suis en sécurité à l’intérieur.
— Pourquoi est-ce qu’il ne nous renvoie pas purement et simplement ? La question des placets est presque réglée.
— Je n’en suis pas certain. » Je regardai par la petite fenêtre de ma cabine. « Il se peut que je serve d’appeau pour débusquer l’assassin.
— Qui diable est-ce ?
— Comme je l’ai dit à Maleverer : quelqu’un qui guette l’occasion dans le noir. Quelqu’un aux aguets, tapi dans la cour quand on est revenus du tripot. Il a contourné l’église à toute vitesse pour se poster derrière la cage de l’ours. Sans doute avait-il prévu de le lâcher sur moi, et en m’approchant de l’enclos je lui ai fourni l’occasion rêvée. Il s’agit d’une personne qui a beaucoup de suite dans les idées et qui guette sa proie comme un chat.
— Une seule personne ?
— C’est ce que je pense.
— Un assassin professionnel ? »
Je le fixai du regard. « À qui penses-tu ? »
Il secoua la tête. « Non, cet homme est un amateur. Un professionnel se serait approché en catimini et vous aurait flanqué un coup de poignard dans les tripes. Il s’agit de quelqu’un du manoir qui craint d’être vu et reconnu. Si je ne vous quitte pas d’une semelle vous devriez être davantage en sécurité. Et quand vous serez seul dans la résidence il n’osera pas y entrer, de crainte d’être vu par les clercs. »
Je ris amèrement. « Ces gens-là ? Mes gardes du corps ? » Je me dirigeai vers la fenêtre. « Quel entêtement ! Quelle détermination ! Et tout ça parce que cet individu pense que j’ai pris connaissance de tous les documents… À moins que quelque chose ne m’échappe. Si seulement j’en savais plus sur ces papiers ! J’ai ressassé cent fois le contenu du Titulus. À certains endroits, le texte est si ambigu ! »
Je regardai par la fenêtre. Je me rappelais le rêve que j’avais fait le jour de notre arrivée, dans lequel ma cabine ressemblait à la cellule de Broderick au château. Une pensée me traversa soudain l’esprit et j’eus un haut-le-corps.
« Que se passe-t-il ? demanda Barak sur le qui-vive. Y a-t-il quelqu’un dehors ?
— Non, non. Je viens de penser à quelque chose. Au poison utilisé par Broderick. Il l’avait dans sa cellule au château d’York. Or, il n’aurait pu l’y apporter lui-même et personne ne peut le lui avoir fait parvenir. Comment l’a-t-il obtenu ?
— Mystère…
— Il doit bien y avoir une solution à cette énigme.
— Vous en avez imaginé une ?
— Peut-être. Demain, quand nous irons entendre les requêtes, je veux jeter un nouveau coup d’œil à cette cellule. »
Le lendemain matin, nous partîmes très tôt pour nous rendre au château. À nouveau, un vent violent chargé de pluie s’était levé durant la nuit et soufflait en rafales. Le squelette d’Aske était toujours accroché à la tour. Ce spectacle me fit frissonner. Je jetai un coup d’œil à celle où Broderick avait été détenu. Dès qu’il y aurait une interruption de séance j’irais examiner son ancienne cellule.
Nous entrâmes dans le tribunal. Les bancs du vestibule étaient pleins à craquer : des commerçants, surtout, et des pauvres fermiers, même si quelques hommes plus richement vêtus étaient assis parmi eux, l’air guindé. Tous me regardèrent avec appréhension en voyant ma robe d’avocat.
Dans la salle du tribunal aux boiseries sombres, Giles était assis derrière une table placée sous l’écusson royal et recouverte d’une toile verte. Il paraissait tout à fait remis de ses ennuis de santé, et son large visage taillé à la serpe lui donnait un aspect impressionnant seyant à sa fonction. Près de lui se trouvait un homme mince, brun, âgé d’une trentaine d’années, qui portait une robe sombre ornée de l’insigne du Conseil du Nord.
Giles nous accueillit chaleureusement. « Matthew… Et vous, Barak, pourriez-vous vous asseoir au bout de la table pour prendre des notes ? De l’encre et une plume taillée vous attendent… Je vous présente messire Ralph Waters, dit-il en désignant l’homme assis à côté de lui, qui représente le Conseil du Nord. »
J’inclinai le buste. Messire Waters, un délégué subalterne à en juger par sa mine, semblait plutôt avenant.
« Messire Waters représente les intérêts du Conseil, car certains
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