Sang Royal
changeant de sujet. Quant à vous, gardez toujours un œil sur Broderick ! Rendez-lui visite au moins une fois par jour, sans exception. Il risque d’essayer une autre méthode. » Il posa sur moi un regard perplexe. « Si Broderick s’est procuré le poison lui-même, cela signifie donc que vous êtes la seule personne qu’on cherche à assassiner.
— Apparemment.
— Suivez bien mes ordres et gardez votre libidineux assistant à vos côtés… Vous pouvez disposer », ajouta-t-il en m’expédiant d’un mouvement de sa plume d’oie. J’inclinai le buste et m’en allai. Incapable de lui accorder la moindre confiance, j’étais plus que jamais décidé à ne rien lui dire à propos de la reine et de Culpeper. Il me détestait cordialement et me nuirait à la première occasion.
Dehors, le vent soufflait un peu moins fort. Barak m’attendait. Comme nous longions les pavillons, je reconnus la rondelette silhouette d’un homme qui entrait dans l’église. Il s’agissait de Craike, dont la robe se soulevait autour de ses chevilles.
« Voici l’occasion de résoudre un second mystère », dis-je.
L’église était une véritable ruche : valets d’écurie courant en tous sens, forges rougeoyant dans toutes les chapelles latérales, paille et fumier entassés partout. À la lumière du jour, je vis que les murs étaient souillés de crasse et couverts d’inscriptions, de grossiers dessins de femmes aux seins nus et d’hommes dotés de pénis gigantesques.
« Où est-il passé ? demanda Barak.
— Il est sans doute monté au clocher. » Je fis halte devant un tas de paille calcinée poussé contre le mur.
Quand on arriva à la porte du clocher, Craike avait déjà disparu, mais le garde confirma qu’il était monté. Nous le trouvâmes posté devant la fenêtre, assis sur un tabouret, une collation sur les genoux. Il me fixa d’un air étonné.
« Tiens, confrère Shardlake ! Quel bon vent t’amène ? » Le ton était enjoué, mais, une fois encore, la méfiance se lisait dans ses yeux. Il sourit en regardant le pain et les viandes froides qu’il s’apprêtait à manger. « J’ai eu une journée très chargée. Alors je suis monté ici pour m’échapper un peu et me restaurer. Je ne me lasse pas de contempler le campement d’ici. C’est intéressant de le découvrir d’en haut, comme un oiseau en plein vol. »
Je regardai par la fenêtre, plissant les yeux pour les protéger du vent qui sifflait autour du clocher. À nouveau, dans la lumière du couchant, j’aperçus les centaines d’hommes assis devant les tentes, en train de jouer aux cartes ou d’assister à des combats de coqs. Des feux de camp avaient été allumés, et le vent dispersait la fumée dans tous les sens. Un groupe important d’ouvriers creusaient de nouvelles latrines près des rangées de charrettes. Craike s’approcha de moi.
« Ils avaient des problèmes d’égout. Imagine un peu ! Si ces deux mille personnes, au bas mot, restent au même endroit plus de quelques jours, le campement devient répugnant. Certains champs bordant les routes empruntées par le cortège regorgent d’un tel amas de déchets qu’ils seront incultivables des années durant. On craint que ça engorge les rivières et que ça tue les poissons. La saleté s’infiltre, vois-tu. Elle s’infiltre partout. »
Je scrutai son visage mou, grassouillet, puis pris une profonde inspiration. « Confrère Craike, dis-je, je dois discuter de quelque chose avec toi.
— Ah oui ! Tu as l’air sérieux. » Son regard passa de moi à Barak, puis il émit un rire nerveux.
« C’est très sérieux, en effet. »
Il retourna s’asseoir sur son tabouret.
« Tu te rappelles le coffret ? demandai-je. Celui dont le contenu m’a été volé, dans ton ancien bureau ?
— Je ne suis pas près de l’oublier.
— Tu sais que c’était important.
— Je sais que j’ai été brutalement fouillé par les hommes de Maleverer. Il m’a enjoint de ne plus en parler, et j’ai obtempéré.
— Il y a quelques jours, Barak t’a vu entrer un soir dans une taverne d’York. Le Cerf blanc. »
Craike regarda Barak, une lueur d’effroi dans les yeux. « Quel rapport y a-t-il avec la disparition des documents de ce maudit coffret ? demanda-t-il, la voix tremblante.
— Nous nous y sommes rendus hier soir. Et j’ai appris que l’hôte peut fournir… eh bien, certaines femmes… »
Un frisson de terreur parcourut
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