Sang Royal
m’intéresse.
— D’où vient le tuyau ?
— C’est une gouttière qui part de la petite cuisine des gardes au sommet de la tour. Certains dorment là, en général, même s’ils ont été chassés quand Broderick est arrivé.
— Par conséquent, le tuyau doit contenir les pires déchets imaginables. Des bouts de viande avariée, des légumes pourris… » J’ôtai ma robe, sortis un mouchoir propre et, avec une certaine difficulté, passai le bras à travers les barreaux afin d’arracher un morceau du dépôt blanchâtre et gluant. J’eus un haut-le-cœur en le touchant. J’en humai l’odeur, puis le montrai à Barak. Il pencha la tête et se redressa brusquement.
« Pouah ! Ça sent la merde. Pire même ! »
Je tendis à nouveau le bras et cueillis deux petits bouts de champignon que je posai sur mes paumes.
« Voici le poison de Broderick, murmurai-je. Et l’odeur de son mouchoir venait du dépôt sur le tuyau. C’est ici qu’il se l’est procuré. Il a ensuite mangé le champignon dans l’espoir qu’il en mourrait.
— Seigneur Dieu ! s’exclama le garde, en faisant une moue de dégoût. Quelle sorte d’homme pourrait agir ainsi ?
— Un homme au comble du désespoir. Et courageux. Il était prêt à tout.
— Il ne pouvait pas connaître l’effet que produirait le champignon, fit remarquer Barak.
— Non. Mais il savait que, à défaut de le tuer, ça ne lui ferait aucun bien.
— Et il l’a conservé dans un mouchoir fourré dans son derrière, ajouta-t-il, ce qui accentua la mine de dégoût du garde.
— Je le répète : il était au désespoir. Quel courage il lui a fallu pour élaborer ce projet, recueillir cette substance et se forcer à l’ingurgiter, malgré les haut-le-cœur, tout en espérant, sans en être certain, que ce serait un poison mortel. Eh bien, voilà en tout cas une énigme de moins ! Personne d’autre n’est impliqué dans son empoisonnement.
— Comment avez-vous deviné ? demanda Barak.
— Je n’avais aucune certitude, mais, persuadé qu’il avait dû se procurer le poison lui-même quelque part, j’ai pensé à la possibilité de la fenêtre. Il n’y avait pas d’autre endroit plausible… Il existe toujours une réponse, si on cherche bien », ajoutai-je en souriant.
Nous quittâmes la cellule et regagnâmes la cour. Je regardai les feuilles tourbillonner dans le vent.
— Je vais en informer Maleverer, dis-je. Cela disculpera Radwinter. » J’émis un petit rire. « M’en sera-t-il reconnaissant ?
— À mon avis, il ne vous en détestera que davantage !
— Ce malheureux Broderick ! Il a pensé, je suppose, que tout vaudrait mieux que ce qui l’attend à la Tour… Bon. Grâce à moi il sera en pleine possession de ses moyens pour affronter l’épreuve, ajoutai-je en secouant la tête.
— Il ne serait pas mort. Cette saleté était si puissante que son corps l’a rejetée sur-le-champ. On dirait que vous l’admirez, dit Barak.
— C’est vrai. En un sens. Seigneur Dieu ! cette puanteur me rappelle l’odeur que dégageait la jambe du roi… La pourriture de la Taupe ! » m’esclaffai-je.
Comme le matin, l’après-midi vit défiler toute une série de requérants. Un dossier me troubla, cependant, et faillit provoquer, pour la première fois, un différend entre Giles et moi. Il s’agissait de la requête d’un marchand ayant fourni à Sainte-Marie le bois avec lequel on avait construit les pavillons. Cela faisait des mois qu’il avait livré le matériel et, selon les termes du contrat signé par le Conseil du Nord, sa facture aurait dû lui être réglée depuis fort longtemps. Invoquant la justice royale, il demandait à être payé sans plus tarder.
« C’est un cas épineux, déclara messire Waters d’un ton gêné comme nous étudiions les documents avant de recevoir le plaideur.
— Pourquoi donc ? demanda Giles. Cela semble assez clair : il y a longtemps que la facture de maître Segwike aurait dû être honorée. Je le connais, il a un petit commerce et il ne peut pas attendre davantage. »
Le jeune délégué s’agita sur son siège. « Le problème est que si nous accédons à sa requête, le Conseil sera inondé de demandes de paiement. Nos commis éprouvent certaines difficultés à maîtriser les… euh… les débours.
— Vous voulez dire que le Conseil s’est mis dans des embarras pécuniaires, en faisant des commandes qui grèvent son
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