Sang Royal

d’anciens partisans de la maison d’York dans la guerre des Deux-Roses très fière de son lignage. Cette femme l’a éconduit à cause de ce soupçon de bâtardise.
    — Vraiment ? » Je me rappelai alors la remarque de Maleverer quand j’avais cité le nom de Cecily Neville inscrit sur l’arbre généalogique. « Tout commence par Cecily Neville », avait-il déclaré. « Cela a dû le rendre amer. »
    Waters hocha la tête, le regard fixé sur moi. « La mère et le père de sir William – enfin, son père putatif – ont fait partie du cortège qui a accompagné la reine Marguerite, quand elle a épousé le père de l’actuel roi d’Écosse, il y a quarante ans. Sir Martin Maleverer a dû rentrer plus tôt que prévu. De nombreux mois plus tard, son épouse est revenue avec les dames, et flanquée d’un bébé dont il doutait d’être le père. L’enfant n’était même pas né en Angleterre. »
    Je me redressai sur mon siège, car les paroles de Waters venaient de me rappeler quelque chose : ce que le Titulus disait à propos de Richard III : «  Étant né dans ce pays, tu es donc plus certain de l’origine de ta naissance et de ta filiation. » Je pris une profonde inspiration. Cela signifiait que l’un de ses frères ne l’était pas. L’un d’eux était bâtard. Je tentai de me rappeler l’arbre généalogique.
    « Confrère Shardlake ? Vous allez bien ? s’enquit Waters.
    — Euh… Oui.
    — Vous étiez perdu dans vos pensées, dit Giles en riant.
    — Veuillez m’excuser… » Je m’interrompis brusquement en entendant de grands cris et un bruit de course folle dehors. « Que diable… ? »
    Giles et Waters échangèrent un regard de surprise, puis se levèrent et sortirent. Barak et moi nous regardâmes également. Je frissonnai d’effroi. Le vacarme me rappelait les exclamations et les hurlements de la veille dans l’église.
    « On va jeter un coup d’œil ? » demanda Barak.
    Nous descendîmes les marches menant à la cour du château. Des serviteurs et des clercs se tenaient çà et là, insoucieux de la pluie, absorbés par l’agitation des soldats qui couraient du poste de garde à la butte où se dressait le donjon. Au pied de celui-ci, un tas de chaînes et d’ossements gisaient sur l’herbe. Messire Waters se signa.
    « Dieu du ciel, c’est le squelette d’Aske ! Le vent l’a décroché. » Les gardes se précipitèrent vers les ossements blanchis et se mirent à les ramasser, afin de les protéger des collectionneurs de reliques.
    « Il fallait que ça arrive durant le séjour du roi ! » gloussa Wrenne, puis, haussant les sourcils, il me déclara : « Les Yorkais y verront un signe. »

28.
    MALEVERER ÉCARQUILLA LES YEUX DE SURPRISE, quand, une heure plus tard, je lui expliquai comment Broderick s’était volontairement empoisonné. Puis il secoua la tête et rugit de rire. Assis en face de moi à son bureau, un sourire au coin des lèvres, il passait le doigt le long du bord de sa barbe, selon son habitude.
    « Vous êtes un petit malin, Seigneur Dieu ! Broderick a donc dupé Radwinter. » Il rit à nouveau. « Sangdieu, quand cela se saura, la réputation du geôlier, que j’ai consigné dans sa chambre, va en pâtir ! Bon, maintenant que nous savons que Broderick n’avait pas de complice, je suppose que Radwinter peut reprendre son service. Vous l’avez disculpé, confrère Shardlake.
    — Je ne tolérerai pas que quelqu’un soit accusé à tort… Même Radwinter. »
    Le sourire de Maleverer se changea en rictus cruel. « Grand Dieu, monsieur, quel pédant moralisateur vous faites ! J’aimerais pouvoir me permettre d’avoir vos scrupules. »
    Je ne répondis pas. Il se tourna vers la fenêtre. Dehors, des manouvriers fixaient les tentes royales à l’aide de grosses cordes afin d’empêcher que le vent ne les abatte. Je scrutai son lourd visage sombre, me demandant si c’était la honte et la rage d’être bâtard qui nourrissaient son ambition et le rendaient impitoyable et cruel. Il était étrange de penser que cet homme essuyait lui aussi des quolibets et que des rires fusaient derrière son dos.
    « Ces tentes ne pourront pas rester là à jamais ! s’écria-t-il. Que le diable emporte le roi d’Écosse !
    — Toujours aucune nouvelle de son arrivée, monsieur ?
    — Occupez-vous de vos oignons !… Je vais annoncer à Radwinter qu’il peut reprendre son service, poursuivit-il en