Sang Royal
révérence.
« Que faites-vous à l’extérieur du manoir, mam’selle ? » demanda lady Rochford d’un ton sévère. Son regard scrutait le visage de Barak et le mien. Les courtisans contemplaient la scène avec curiosité.
« Je vais au réfectoire, milady. Mlle Marlin m’en a donné l’autorisation. »
Lady Rochford nous toisa d’un air hautain. « Mlle Marlin est bien trop tolérante envers ses serviteurs. De toute façon, je ne pense pas que cela tire à conséquence. Vous avez de la chance d’être accompagnée par un homme de qualité, ajouta-t-elle en me fixant du regard. Bien que je me sois laissé dire que vous vous êtes trouvé nez à nez avec un ours échappé, messire Shardlake. Ç’aurait été fort triste qu’il vous eût étripé… Vous auriez emporté tous vos petits secrets d’avocat dans la tombe », conclut-elle en poussant un rire rauque, nerveux.
Je l’étudiai avec attention. S’agissait-il d’une mise en garde ? Non, me dis-je, puisqu’on avait fait courir le bruit que l’ours s’était échappé par accident. Elle se contentait de nous rappeler qu’elle nous gardait à l’œil. Et, bien entendu, elle devait s’imaginer que j’avais rédigé un compte rendu de la scène dont Barak et Tamasin avaient été témoins. Je n’avais rien écrit de tel, mais cette hypothèse pendait telle une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. « Soyez certaine, milady, répondis-je d’un ton serein, que je prends soin de garder tous mes secrets dans un endroit extrêmement sûr.
— Gardez-les soigneusement, en effet ! » rétorqua-t-elle, avant de s’éloigner d’un pas vif.
Nous poursuivîmes notre chemin. Nous n’avions pas fait trois pas que j’entendis des pas nous rattraper. Avant même que j’aie le temps de me retourner, une main se posa sur mon épaule et me fit brutalement pivoter. Francis Dereham me foudroya du regard, une expression de cruauté déformant son visage ténébreux qu’encadrait une barbe noire.
« Maraud de bossu ! siffla-t-il. J’ai entendu vos paroles. Comment osez-vous manquer à ce point de respect à lady Rochford ? Mordieu ! vous vous prenez pour qui, monsieur l’avocat ? Vous mériteriez que je vous piétine pour vous punir de votre outrecuidance. »
Je restai coi. Heureusement, Dereham n’alla pas plus loin dans la violence, se rappelant sans doute que se rendre coupable de voies de fait dans l’enceinte de la Cour royale entraînait de lourdes conséquences.
« Vous m’agacez, espèce de bossu ! reprit-il. Et un homme de votre condition n’a pas intérêt à agacer une personne de mon rang. Allez donc supplier à deux genoux lady Rochford de vous pardonner ! »
J’avais le souffle coupé. Dans toute la cour des gens s’étaient arrêtés pour nous regarder. Je jetai un coup d’œil vers lady Rochford. Elle se tenait au premier rang des courtisans et pour une fois semblait ne pas savoir comment réagir. Elle finit par s’avancer et posa une main sur le bras de Dereham.
« Laissez-le, Francis, dit-elle. Il n’en vaut pas la peine. »
Dereham se tourna vers elle, sa colère se changeant en perplexité devant la modération inaccoutumée de lady Rochford. « Allez-vous laisser passer une telle insolence ? insista-t-il.
— Peu me chaut ! dit-elle en rougissant.
— Qu’y a-t-il entre vous et ces gens ? demanda Dereham.
— À présent, c’est vous qui êtes outrecuidant, Francis ! répliqua lady Rochford en haussant le ton. Mêlez-vous de ce qui vous regarde !
— Fi donc ! » s’écria-t-il en lâchant mon épaule, avant de s’éloigner prestement sans un mot de plus. Lady Rochford me fusilla du regard – signe du châtiment qu’elle m’aurait infligé si je n’avais pas eu barre sur elle –, avant de s’éloigner dans un bruissement de jupes. Les autres lui emboîtèrent le pas.
« Il paraît que Dereham soupçonne la reine de lui faire des cachotteries, expliqua Tamasin à voix basse.
— Alors, espérons pour nous tous qu’il ne découvrira pas le pot aux roses ! Du moins la façon dont nous sommes impliqués dans cette affaire », conclus-je.
Le dimanche, on n’avait toujours aucune nouvelle de l’arrivée du roi Jacques. Nous étions à York depuis treize jours. Après le déjeuner, je rejoignis Barak et Tamasin dans la cour pour aller rendre visite à Wrenne. Le ciel était sombre et une bise mordante soufflait. Nous nous étions emmitouflés dans nos
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