Sang Royal

répondre à une lettre. Il faut que je le voie personnellement. En outre, je n’ai pas son adresse… Vous considérez que je ne suis pas en état d’entreprendre ce voyage ? ajouta-t-il en me regardant droit dans les yeux.
    — À vous de juger, Giles… Au fait, avant votre querelle, où se trouvait le cabinet de consultation de Martin Dakin ? demandai-je, après une hésitation.
    — À Garden Court. Pourquoi donc ?
    — Cela nous aidera à le retrouver. Il travaille toujours là, sans doute. » Le même lieu que celui où se trouvait le cabinet de Bernard Locke… Quel fichu manque de chance ! Ou n’était-ce qu’une coïncidence ? Il n’y avait pas beaucoup de lieux de consultation à Gray’s Inn, et je savais que les avocats du Nord avaient tendance à rester ensemble. Mais je me gardai bien de le lui dire, de peur de l’inquiéter inutilement.
    À dix heures, comme prévu, Barak vint me chercher pour me raccompagner à la résidence. Au moment de nous séparer sur le seuil, Giles posa la main sur mon bras.
    « Merci de vos bons soins, dit-il. Vous vous occupez de moi comme un fils.
    — Non, non ! répliquai-je. Comme un bon ami… Merci pour cette agréable soirée, Giles. Cela m’a fait oublier mes soucis.
    — La succession de votre père est-elle enfin réglée ?
    — Elle est en passe de l’être. J’ai écrit au créancier hypothécaire pour lui indiquer que je pourrai payer ce qu’on lui doit dès que je serai rémunéré pour mon travail actuel.
    — Ce sera triste, malgré tout, de vous séparer de la ferme familiale.
    — C’est vrai », acquiesçai-je, alors que je n’avais guère pensé à cet aspect des choses. J’eus honte de ne ressentir aucune nostalgie pour la maison où j’avais passé mon enfance. Le visage de mon père m’apparut soudain. Il avait l’air triste, dépité.
    « C’est tout ce qui vous tracasse, Matthew ? Barak et cette fille paraissaient terriblement angoissés quand elle est venue l’autre jour. Et vous semblez… tendu.
    — Cela concerne ma mission officielle, Giles », dis-je, avec un sourire d’excuse.
    Il leva la main. « Soit. Mais si vous pensez pouvoir en parler, je suis tout disposé à vous écouter, quand bon vous semblera. » Il ouvrit la porte et je fixai la ruelle sombre. Barak, qui attendait dehors, inclina le buste. « Venez donc tous les deux dimanche et je vous ferai visiter la cathédrale. Il me semble que vous ne l’avez pas encore visitée, si ?
    — Non, en effet. » À cause de tout ce qui s’était passé, j’avais oublié mon désir d’en voir l’intérieur.
    « Emmenez cette jolie donzelle, jeune Barak. La voir me met du baume au cœur.
    — Merci, messire Wrenne.
    — Très bien. Alors c’est convenu. Bonsoir, Matthew. À dimanche !
    — Bonsoir, Giles. » Nous nous éloignâmes. Comme chaque fois que je marchais dans l’obscurité, désormais, je devenais nerveux, guettant une ombre dans l’embrasure d’une porte, un pas furtif derrière moi.
    J’expliquai à Barak que le cabinet de consultation du neveu de Giles se trouvait au même endroit que celui de Bernard Locke. « Quand nous rentrerons à Londres, dis-je, avant d’y emmener Giles, je me rendrai discrètement à Gray’s Inn afin de voir ce qu’il en est.
    — Si on part jamais d’ici », répondit Barak d’un ton lugubre.
     
    Le lendemain, un incident déplaisant nous rappela notre rencontre avec lady Rochford. J’avais passé la matinée avec Barak à vérifier les procès-verbaux des audiences d’arbitrage, avant de les porter au bureau de Maleverer. C’était là ma dernière tâche concernant les requêtes. Escorté par Barak, je me rendis au Manoir du roi et remis les documents à un clerc. Nous avions rendez-vous avec Tamasin devant le bâtiment pour aller déjeuner au réfectoire. Comme nous nous éloignions tous les trois du manoir, j’eus un haut-le-corps en apercevant lady Rochford qui approchait en compagnie d’un groupe de courtisans. Culpeper n’était pas parmi eux, mais il y avait Francis Dereham. Nous inclinâmes la tête et poursuivîmes notre route sans traîner, espérant qu’ils ne s’occuperaient pas de nous.
    « Mam’selle Reedbourne ! » lança dans notre dos lady Rochford d’une voix sèche qui ne nous laissa guère d’autre choix que de nous arrêter et de nous retourner. Comme elle s’avançait vers nous, Barak et moi inclinâmes le buste et Tamasin fit une profonde