Sang Royal
lady Rochford. J’ai pris le risque d’organiser cette entrevue. Alors que la reine est attendue au manoir de Holme, nous avons annoncé qu’elle venait ici pour se changer. »
La reine se détourna et lady Rochford agita la main pour nous signifier notre congé. Nous fîmes la révérence. Tamasin saisit le bras de Barak et l’aida à sortir de la tente. Parvenus à la lisière du champ, nous nous arrêtâmes.
« Bon Dieu de merde ! s’écria Barak.
— Jack ! le reprit Tamasin.
— Quand j’ai répondu à cette convocation et ai découvert la reine sous la tente, j’ai failli faire sur moi.
— Eh bien, que pensez-vous de tout ça ? demandai-je à Tamasin.
— Je crois que la reine a dit la vérité, monsieur.
— C’est bien mon avis. Ces femmes n’ont rien à voir avec mes ennuis, j’en suis plus que jamais certain… La reine est si jeune, ajoutai-je en secouant la tête.
— Il paraît qu’elle était très délurée avant que le regard du roi ne s’attarde sur elle.
— Une stupide coquette, peut-être. Et lady Rochford doit tirer quelque plaisir pervers à organiser des rendez-vous entre elle et des jeunes gens. Mais ces deux femmes n’ont sans doute pas la bêtise d’abandonner toute prudence. Et maintenant elles tremblent. » Je regardai les centaines de chariots qu’on conduisait à travers champs. « Viens ! il faut qu’on trouve notre logement. »
Barak me poussa du coude. « Regardez ! »
Je suivis son regard. Un groupe de dignitaires nous dévisageaient. Craike se trouvait parmi eux et je manquai défaillir en apercevant sir Richard Rich. Il avait dû nous voir sortir de la tente de la reine. Qu’en pensait-il ?
33.
NOUS REJOIGNÎMES LE SOLDAT TEMPLEMAN, qui mangeait une pomme sur le bas-côté herbeux où nous l’avions laissé avec les chevaux. Dans le champ derrière lui, on dressait des tentes militaires coniques. Peinant à avancer au milieu de la cohue et de la bousculade, Barak aurait risqué de chuter si Tamasin et moi ne l’avions pas accompagné. Après avoir compté sur sa force et sa dextérité dans tant de circonstances difficiles, je trouvais étrange de devoir l’aider à marcher.
Je me dirigeai vers Genesis. Il paraissait dorénavant plus serein, même si, vu les affreuses écorchures qui marquaient son dos, il n’était pas question de le monter avant quelque temps.
« Connaissons-nous nos lieux d’hébergement ? demandai-je au soldat.
— Non, monsieur. On viendra nous avertir quand ils seront prêts. Il nous faut patienter. »
Un chariot cahotant passa si près de nous que nous dûmes grimper sur le bas-côté. Appuyé sur sa béquille, Barak glissa, et fut rattrapé de justesse par Tamasin.
« Que le diable l’emporte ! s’exclama-t-il avec fureur.
— Tu ne devrais pas marcher au milieu de cette cohue, lui dis-je. Écoute. Tamasin et toi, restez là avec Templeman jusqu’à ce qu’on sache où l’on doit être logés.
— Qu’allez-vous faire ? » demanda-t-il.
Je ressentais un impérieux besoin de m’éloigner de la mêlée. « Je vais monter à Holme chercher messire Wrenne et revenir avec lui, dis-je.
— Vous devriez rester en sécurité avec nous, conseilla Tamasin. Il va bientôt faire nuit.
— J’ai besoin de m’échapper un peu. Et je serai plus en sécurité là-haut qu’au milieu de ce tumulte. Wrenne et moi vous retrouverons plus tard. »
Et, pour mettre fin à la discussion, je les quittai et commençai à gravir le chemin menant au village.
Partout on faisait entrer des chariots dans les champs, sous le regard vigilant d’officiers de la maison royale en tunique verte et blanche, dont certains portaient de petites écritoires pareilles à celle de Craike. L’un des chariots s’était renversé sur la route, et plusieurs soldats s’efforçaient de dégager les énormes chevaux qui, couchés sur le flanc entre les brancards, hennissaient et se débattaient comme des fous. Le contenu du véhicule – épées, arbalètes, fusils – était éparpillé sur le sol. Des soldats ramassaient ces armes, puis allaient les déposer dans le champ voisin, écartant brusquement les passants afin d’éviter qu’ils ne se blessent. Dans le champ contigu, isolée, une voiture noire, ornée de l’écusson royal, était gardée par une demi-douzaine de militaires. Le sergent Leacon se trouvait parmi eux. Je pataugeai jusqu’à lui, mes bottes s’enfonçant dans l’herbe boueuse. La
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