Sang Royal
voiture n’avait pas de fenêtre et la porte en était fermée. Le sergent inclina le buste.
« Le voyage s’est déroulé sans encombre ? demandai-je.
— Oui. Aucune anicroche. » Il fixa sur moi un regard curieux. « J’ai entendu parler des épines sous la selle de votre cheval.
— Tout le cortège a eu vent de l’affaire ?
— La nouvelle a créé pas mal d’émotion. » D’un brusque mouvement du menton, il désigna la voiture derrière lui. « Ç’a un rapport avec Broderick ?
— Non. Je ne le pense pas. » Je soupirai. « Je vais faire une balade pour sortir de la foule. »
Il sourit. « Au début, à notre départ de Londres, moi aussi j’ai trouvé cette énorme masse humaine oppressante. Ensuite on s’habitue.
— Je n’ai pas l’impression que je pourrai jamais m’y habituer. J’ai décidé de monter au village. Un de mes amis s’y trouve. Peut-être l’avez-vous vu… Un grand vieillard marchant avec une canne et vêtu d’une robe d’avocat ?
— Oui. Il n’y a pas longtemps qu’il est passé. » Il jeta un coup d’œil à la voiture. « Monsieur, le prisonnier n’a pas bonne mine. Il a le teint terreux. Depuis l’empoisonnement, il semble mal en point. Il faudrait qu’il prenne un peu l’air. Ça ne peut guère lui faire du bien d’être confiné là-dedans tout le temps en compagnie de ce type.
— Vous avez raison.
— Le malheureux fait peine à voir. Quel que soit son crime. Il a le visage et la démarche d’un vieillard, alors qu’il n’a pas encore trente ans, paraît-il.
— C’est exact. Et il va subir une mort atroce, ajoutai-je en secourant la tête, comme tant d’autres, ces dernières années. »
Le sergent scruta mon visage. « Lui aussi était prêt à tuer pour ses principes. Si le Nord s’était soulevé au printemps, comme prévu, il y aurait eu un bain de sang. »
Je hochai lentement la tête. « En effet. Vous avez raison sergent. C’est ce qui se serait passé. Peut-être ai-je pris notre prisonnier en trop grande pitié… Mais je suis chargé de sa santé. Je vais en parler à Maleverer et voir si on peut lui faire faire un peu d’exercice. » Je regardai la voiture noire. « Je n’ai pas le courage pour le moment d’affronter Radwinter. Je vais faire ma balade et je repasserai ensuite pour voir comment se porte Broderick.
— Restez sur le qui-vive, monsieur, si vous avez des ennemis dans les parages.
— Promis. Au fait, avez-vous des nouvelles du dossier foncier de vos parents ?
— Juste une lettre de mon oncle m’indiquant qu’ils se font un sang d’encre. Il a l’intention de les conduire à Londres, afin qu’ils me visitent au retour du cortège. Je serai alors logé à la Tour.
— Emmenez-les me voir. Je regrette le rôle que j’ai joué dans le déclenchement de leurs ennuis.
— Pensez-vous pouvoir les aider ?
— Il m’est difficile de m’avancer avant d’avoir consulté les documents afférents à cette affaire. Mais si j’ai la moindre possibilité de les aider, comptez sur moi ! »
Il posa sur moi un long regard appuyé. « Je l’espère, monsieur, car si on les expulse de leur terre ils n’auront plus rien. »
Bourrelé de remords, je quittai le champ et commençai l’ascension de la colline. Le sentier était large, bordé par des bois de chênes et couvert d’une épaisse couche de feuilles mortes qui m’obligeait à marcher avec précaution pour ne pas glisser. Si je ressentis d’abord une certaine nervosité à me retrouver tout seul, je me rassurai en me disant que je verrais quiconque gravirait la pente.
Une bise glaciale soufflait. Le village ne se composait, en fait, que d’une série de minables masures qui s’égaillaient le long du chemin montant. Quelques poulets picoraient, quelques cochons fouillaient le sol de leur groin, mais à part un groupe d’enfants qui jouaient près d’une mare, on n’apercevait âme qui vive. La plupart des adultes avaient dû être réquisitionnés pour aider à l’installation du campement nocturne du cortège.
Au-delà du village, la pente devenait plus escarpée. Au sommet de la colline, le chemin débouchait sur un espace dégagé. De l’autre côté se dressait une église romane au clocher carré, le vieux cimetière à sa gauche s’étendant vers l’arrière jusqu’à un bois. Je m’arrêtai devant le porche d’entrée pour reprendre mon souffle. À cet endroit-là, la bise soufflait
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