Sang Royal
couloir du regard. « Barak sait-il que vous êtes papiste ? demandai-je à voix basse. Il m’avait dit qu’en matière de religion vous n’aviez pas de point de vue bien défini. »
Elle affronta mon regard perçant. « Je ne suis pas du tout papiste, monsieur. Mais ma grand-mère a été élevée longtemps avant qu’on parle de réforme et elle égrenait toujours son chapelet. Elle disait que ça la calmait quand elle avait des soucis. Aujourd’hui encore c’est un réconfort pour les miséreux.
— Réconfort désapprouvé, comme vous le savez, puisque vous le dissimulez. »
Sa voix prit un ton de défi. « Égrener le chapelet en prononçant les mots mentalement, monsieur, quel mal y a-t-il à cela ? Ce geste me calme », répéta-t-elle en me regardant droit dans les yeux. L’angoisse se lisait sur son visage. « Je redoute que ce que nous avons surpris soit révélé au grand jour. J’ai peur, et Jennet me manque. »
Je fixai son poing refermé sur le chapelet. Les ongles étaient rongés jusqu’au sang. « N’est-ce vraiment que pour vous calmer les nerfs que vous dites votre chapelet ?
— Oui. C’est la seule raison, et je pense que j’aurais intérêt à perdre cette habitude, ajouta-t-elle d’un ton amer. Je suivrai la forme de religion prescrite par le roi, quelle qu’elle soit, et bien qu’elle change d’année en année. J’y perds mon latin, et peut-être Dieu aussi… Mais les gens ordinaires doivent laisser Dieu et le roi régler la question entre eux, n’est-ce pas ?
— C’est plus sage, en effet. »
Sur ce, elle s’éloigna. Au lieu de rentrer dans notre chambre, où attendait Barak, elle enfila le couloir. Ses pas résonnèrent dans l’escalier. Je la suivis d’un pas plus lent. Avait-elle dit la vérité concernant la raison pour laquelle elle égrenait son chapelet, ou sa vivacité d’esprit coutumière lui avait-elle permis d’inventer sur-le-champ l’histoire de sa grand-mère ? Plus que jamais j’eus l’impression de ne pas connaître Tamasin, cette femme particulièrement mystérieuse.
Le lendemain matin, je regagnai la petite bibliothèque, quoique la pluie se fût remise à tomber. Comme le serviteur prenait mon manteau trempé, le confrère Davies dévala les escaliers, un sac en cuir sous le bras, l’air très pressé.
« Confrère Shardlake… Déjà de retour ? Il faut que je parte. Je dois plaider devant le conseil municipal. Mais consultez tout ce qui vous intéresse dans la bibliothèque.
— Merci. Combien vous dois-je ? »
Il écarta ma question d’un geste. « C’est gratuit pour les hôtes de passage. Un petit mot d’avertissement, cependant… » Il baissa la voix. « Le vieux confrère Swann est là, ce matin. À plus de quatre-vingts ans, il est le plus vieil avocat de Hull, à la retraite depuis longtemps déjà… Il affirme venir à la bibliothèque pour rester informé, mais il vient en fait pour bavarder.
— Ah, je vois !
— J’ai jeté un coup d’œil avant de partir… Il dort devant le feu. Ne le réveillez pas si vous avez l’intention de travailler.
— Merci. »
Il hocha la tête, prit son manteau des mains du serviteur et sortit sous la pluie battante. J’ouvris doucement la porte de la bibliothèque. La salle était chaude et silencieuse, un bon feu brûlait dans l’âtre, les lettres gravées en relief au dos des vieux livres étincelaient dans la lumière des flammes. Le seul occupant du lieu, un vieil homme vêtu d’une robe d’avocat luisante d’usure, dormait profondément au coin du feu. Son visage n’était que plis et rides et son crâne rose apparaissait entre les cheveux blancs clairsemés. Je me dirigeai sur la pointe des pieds vers les étagères, pris deux livres contenant des comptes rendus de procès susceptibles de m’aider dans le dossier Bealknap et m’installai à une table. Toutefois, j’avais du mal à me concentrer ; j’étais resté trop longtemps éloigné de mes livres. Je réfléchissais aux paroles de Giles et repensai au mauvais regard que m’avait lancé Rich au moment de nous quitter. Oui, j’avais la forte intuition que Rich n’aurait pas déployé autant d’efforts s’il n’avait craint de perdre le procès. Il me fallait poursuivre ma tâche, tenter de l’emporter. Lutter pour faire gagner mes clients, tel était le but de ma vie. Que me resterait-il si je cédais ?
Je levai les yeux et découvris que le vieil homme
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