Sang Royal

bordée d’injures. » On entendit un nouveau soubresaut. « Il va finir par se faire mal… »
    Wrenne posa sur moi un regard grave. « Vous risquez aussi de vous faire du mal, Matthew.
    — Que voulez-vous dire, Giles ?
    — Ce procès contre ce Bealknap. Je n’ai pas entendu tous les propos de Rich, mais j’en ai perçu suffisamment. »
    Je poussai un soupir. « Il a essayé de m’acheter, ensuite il m’a menacé de malheurs si je ne laissais pas tomber l’affaire.
    — Vous n’êtes pas obligé d’accepter ses pots-de-vin, mais pourquoi ne pas renoncer à plaider ? Vous avez reconnu vous-même que le dossier n’était pas vraiment solide.
    — Renoncer sous la menace serait une faute.
    — Nombre d’avocats s’y résigneraient. Vous êtes têtu, Matthew. Et rendrez-vous service à vos clients en leur conseillant de poursuivre l’affaire si vous ne pouvez pas gagner ? Pour la simple raison que vous détestez ce Bealknap et la corruption qu’il incarne ? La législation a toujours été corrompue et le sera toujours.
    — Mais ne voyez-vous pas, rétorquai-je en le regardant d’un air surpris, que l’acharnement que met Rich à me faire renoncer à plaider indique que j’ai une chance de gagner ? Il a été incapable de trouver un juge corrompu à la cour de la chancellerie. Cela signifie à n’en pas douter que les juges considèrent notre dossier comme défendable et qu’ils refusent de prendre le risque de prononcer un jugement à l’évidence entaché de corruption.
    — C’est possible. Mais si le conseil gagne le procès, vous savez bien que le roi peut simplement faire adopter une loi au Parlement pour annuler le jugement, et qu’il obtient tout ce qu’il veut, par des moyens honnêtes ou malhonnêtes.
    — Si c’est ce qu’il décide de faire, eh bien, tant pis ! J’irai à la bibliothèque demain pour consulter la loi dont relève ce dossier. Je suis resté si longtemps éloigné de cette affaire qu’un nouvel angle d’attaque peut très bien se présenter soudain à moi.
    — Si vous ne prenez pas garde, c’est vous qui risquez d’être attaqué, répliqua-t-il en secouant la tête. Voilà ce que je crains pour vous.
    — Je refuse de céder sous la pression, rétorquai-je. C’est hors de question. »
    Je quittai Giles un peu plus tard pour me rendre aux cabinets d’aisances. Dans le couloir je tombai sur Tamasin, qui en revenait peut-être. Elle me lança un bref regard glacial qui ne m’échappa guère, avant de se composer un charmant sourire.
    « Messire Shardlake, dit-elle, je ne vous ai pas suffisamment remercié de m’avoir assuré une place sur le bateau. Il me tarde tant d’être loin de la maison de la reine !
    — C’est messire Wrenne que vous devez remercier. C’est lui qui a payé votre passage.
    — Pourrez-vous le remercier de ma part ? » Elle posa la main sur la porte de la chambre que je partageais avec Barak.
    Petite impudente ! pensai-je. Et elle se croit de noble lignage ! « D’accord », répondis-je d’un ton sec.
    Elle se mordit les lèvres. « Ne soyez pas en colère contre moi, monsieur, dit-elle d’une petite voix. Je regrette de m’être montrée impolie envers vous ces derniers temps. Mais la mort de Mlle Marlin m’a bouleversée. Je n’arrivais pas vraiment à croire qu’elle avait fait… ce qu’elle a fait.
    — Eh bien, c’est pourtant la vérité. Et j’ai de la chance d’être toujours là pour témoigner.
    — Je m’en rends bien compte, maintenant. Je suis désolée.
    — Très bien. Mais veuillez m’excuser… »
    Je passai vivement devant elle, la forçant à s’écarter. Plus vivement que je ne l’avais voulu, car elle perdit l’équilibre, glissa et heurta le mur. Quelque chose s’échappa alors de sa robe et tomba par terre.
    « Veuillez m’excuser, m’empressai-je de dire, craignant qu’elle ne se soit fait mal. Permettez-moi… » Je me baissai pour ramasser l’objet, que je contemplai, intrigué, les sourcils froncés. C’était un chapelet bon marché, de simples grains de bois enfilés, lisses à force d’avoir été palpés. Je levai les yeux vers elle. Elle était devenue rouge comme une pivoine.
    « Vous avez découvert mon secret, monsieur », murmura-t-elle.
    Je lui rendis l’objet et elle s’empressa de refermer dessus son petit poing. Elle avait dû l’attacher à une ceinture passée autour de son jupon, pensai-je. Bien caché.
    Je balayai le