Sang Royal
n’as pas changé d’avis ? » demandai-je en plongeant mon regard dans le sien.
Il hocha la tête. « Je n’ai pas changé d’avis. Il est temps que je me range… Mais je continuerai à fréquenter Tammy, précisa-t-il en me lançant un regard de défi.
— Je sais qu’elle me reproche toujours plus ou moins la mort de cette femme, répliquai-je après une brève hésitation. Oh ! elle se montre à nouveau courtoise ; il est dans son intérêt de ne pas se faire un ennemi de ton employeur, mais je vois bien qu’elle m’en veut encore. Ce n’est pas juste. »
Barak eut l’air gêné. « Tammy a du mal à accepter la mort de Jennet Marlin. Elle sait bien que ce n’est pas votre faute, mais… la logique n’est pas le fort des femmes.
— Tamasin sait être très maligne, grognai-je. Quand ça l’arrange. Elle l’a prouvé, le fameux jour où elle a feint cette tentative de vol. Ou dans sa façon de se réconcilier avec moi, parce qu’elle sait où se trouve son intérêt. » Allais-je lui parler du chapelet ? Je me dis que de toute façon il croirait la version de Tamasin selon laquelle il s’agissait d’un souvenir de sa grand-mère. Que ce soit vrai ou non, il prendra son parti, à la manière des amoureux.
Barak me regardait en fronçant les sourcils. « Tammy a pleuré des nuits entières depuis la mort de Jennet Marlin. J’aimerais bien qu’elle maudisse cette femme comme elle le mérite, mais elle refuse. Entre ça et l’histoire de la reine et de Culpeper, elle se fait beaucoup de mauvais sang.
— Eh bien ! quand nous rentrerons à Londres, il faudra que je m’habitue à son caractère.
— Assurément, rétorqua-t-il d’un ton de défi, avant d’ajouter plus calmement : Vous savez ce qui ne va pas chez vous ?
— Non, quoi ?
— Vous ne comprenez pas les femmes. Les femmes normales, les femmes naturelles, féminines. Quand une femme vous plaît, c’est une mégère mal embouchée, comme lady Honor, l’année dernière… »
Je me levai. « Et moi, je me demande, ce que, toi, tu comprends vraiment. Tamasin semble te faire marcher au doigt et à l’œil, chose que je n’aurais jamais crue possible. » À peine avais-je prononcé ces paroles que j’eusse voulu pouvoir les rattraper. En plus des autres motifs d’énervement, la promiscuité de cette chambre nous rendait irascibles.
Le regard de Barak se durcit. « Et vous savez quel est votre autre problème ? Vous êtes jaloux. Jaloux de ce qui nous lie, Tammy et moi. Peut-être devriez-vous trouver une autre belle dame à qui faire les yeux doux.
— Tu en as assez dit !
— J’ai rouvert la plaie, pas vrai ? railla-t-il.
— Je vais chez messire Wrenne. » Je sortis en coup de vent, claquant la porte comme un petit nigaud.
Les rapports entre Barak et moi demeurèrent tendus les jours suivants. De plus, le vent du sud-est et les violentes averses persistaient. Pas question, dès lors, de lever l’ancre. L’aubergiste grommela que si le temps ne s’améliorait pas, le manque d’échanges commerciaux ruinerait la ville de Hull. À nouveau, Tamasin se montrait froide envers moi. J’en déduisis que Barak lui avait parlé de notre dispute.
J’étais ravi que l’état de santé de Giles soit resté stable grâce à ce repos forcé, même si de temps en temps je devinais à ses traits tirés qu’il souffrait. Nous passions beaucoup de temps ensemble, à nous raconter des anecdotes tirées de nos carrières juridiques respectives, et il m’apprit beaucoup sur la vie à York et sur le déclin de la ville auquel il avait assisté au cours de son existence. Je comprenais de mieux en mieux la façon dont le Nord avait été négligé et opprimé sous les Tudors. Alors que nous nous connaissions depuis fort peu de temps, je savais que la mort de Giles me ferait revivre celle de mon père. Mais j’étais déterminé à l’assister dans ses derniers moments, même si cela m’obligeait à revenir à York avec lui après son séjour à Londres.
Entre-temps, le cortège royal avait fini par quitter Hull. Le 4 octobre, une accalmie s’était produite, le soleil avait même brillé – pour la première fois depuis notre arrivée dans la ville – entre deux averses. Selon la rumeur, le cortège allait traverser la Humber le lendemain, première étape du long voyage de retour. Giles et moi descendîmes jusqu’à la berge de l’immense estuaire pour regarder les centaines de bateaux
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