Sang Royal

derrière moi. « C’est le type de Fulford. Le roi l’a obligé à montrer son dos nu à la foule. » Je me retournai et aperçus deux clercs qui me fixaient par-dessus leur épaule. Je leur lançai un regard qui les contraignit à tourner la tête. Donc on brodait sur l’épisode de Fulford Cross…, pensai-je avec amertume. Aurais-je jamais le droit d’oublier l’humiliation que le roi m’avait fait subir ? Quelle serait la réaction de ces gens s’ils apprenaient que le roi Henri n’était peut-être que le petit-fils d’un archer du Kent ?
    « Oh, Grand Dieu ! s’écria Barak en faisant un brusque écart de côté, avant de se courber et de vomir sur le pont. Puis il perdit l’équilibre et s’affala sur les planches avec un bruit sourd. Les clercs et les marins qui s’activaient sur le mât jetèrent un coup d’œil vers lui, un sourire railleur aux lèvres. Je l’aidai à se remettre sur pied. Tamasin lui saisit l’autre bras et nous le fîmes asseoir près de Giles. L’âcre odeur de vomi me soulevait le cœur. Barak était blanc comme un linge. La tête entre les genoux, il se mit à geindre, avant de se redresser et de me regarder.
    « J’ai horreur d’être malade et de ne pouvoir compter que sur une foutue jambe ! s’exclama-t-il. J’en ai par-dessus la tête ! Ils riraient jaune, ces crétins, si je n’étais pas éclopé.
    — Tu vas bientôt retrouver tes forces.
    — Tu pourras te reposer quand tu seras de retour à Londres, Jack », lui dit Tamasin. Elle me lança un regard suppliant derrière le dos de Barak. « Peut-être messire Shardlake te permettra-t-il de loger quelque temps chez lui afin que sa gouvernante s’occupe de toi et que tu te rétablisses le plus vite possible.
    — Bien sûr, dis-je d’un ton gêné. Ce n’est pas une mauvaise idée.
    — Je ne demande aucune faveur. Seigneur Dieu ! » s’écria-t-il en replaçant sa tête entre ses genoux.
    Je me dirigeai vers le bastingage pour fuir l’odeur de vomi. La requête de Tamasin m’avait agacé. La petite manipulatrice l’avait faite à un moment où il m’eût été difficile de refuser. Mais elle avait raison : Barak ne pouvait pas encore se débrouiller tout seul, et, à vouloir trop en faire, il risquait de se blesser à nouveau.
    Quelques minutes plus tard, je regagnai l’endroit où Barak était toujours assis, la tête entre les jambes, le bras de Tamasin passé autour de ses épaules. De l’autre côté, Giles était affalé sur le banc. Son immobilité me donna des frissons dans le dos, mais ses yeux s’ouvrirent quand je le touchai.
    « Giles ? demandai-je doucement. Vous allez bien ? » Il grimaça de douleur.
    « J’ai dû m’assoupir.
    — Barak a vomi et il est tombé. Vous n’avez pas entendu ? »
    Il avait l’air brisé de fatigue. Il tenta de sourire. « Je n’ai pas le pied marin, n’est-ce pas ? Il y a longtemps que je n’ai pas pris le bateau. Mais, heureusement, je n’ai jamais eu le mal de mer. » Il regarda les laisses de vase dans le lointain. « Nous sommes donc toujours en vue des côtes du Yorkshire.
    — Je suppose qu’il nous faudra de longues heures pour sortir de l’estuaire.
    — Je me demande comment s’en tire Madge, maintenant qu’elle n’a plus à s’occuper de moi.
    — Quand nous arriverons à Londres, Giles, ma première tâche sera de me mettre à la recherche de votre neveu. Barak vous aidera, lui aussi.
    — Comment les choses vont-elles entre vous et lui ? demanda-t-il en baissant la voix.
    — Ah ! vous vous êtes aperçu que nous étions quelque peu en froid…
    — Il était difficile de ne pas s’en apercevoir, ces derniers jours. C’est à cause de cette fille ?
    — Indirectement. » Je fixai la rive, qui s’était encore un peu plus éloignée. « Mais ne vous tracassez pas à ce sujet. Tout rentrera dans l’ordre une fois que tout ça sera terminé, dès que nous aurons repris notre vie normale à Lincoln’s Inn… Et puis nous retrouverons votre neveu », ajoutai-je en souriant.
    Il me regarda d’un air songeur. « Comment allez-vous vous y prendre ?
    — Nous commencerons par nous rendre à Garden Court, et s’il n’est pas là, l’intendant de Gray’s Inn pourra nous indiquer l’endroit où se trouve son cabinet. »
    Il hocha la tête. « Donc, cela devrait s’avérer tout à fait simple.
    — En effet », répondis-je, tout en espérant de tout mon cœur que les choses se