Sang Royal
prendre l’air sur le pont. Sous le bonnet incrusté de pierreries je reconnus le mince visage de Richard Rich. Abîmé dans ses pensées, il s’éloigna, le menton rentré. Les marins qui œuvraient sur le pont s’empressèrent de s’écarter sur son passage. Il rebroussa chemin et, lorsqu’il parvint à la hauteur du banc où je me trouvais, ses yeux croisèrent les miens. Il esquissa son petit sourire, fit demi-tour et repartit dans la direction opposée. Puis il redescendit l’échelle, le claquement de ses pas s’estompant peu à peu. Une fois qu’il eut disparu, je me levai. Barak s’approcha de moi.
« Quel crétin !
— Oui : » J’étais content qu’il se préoccupe de moi.
« A-t-il dit quelque chose ?
— Non. Il m’a juste regardé d’un air déplaisant. Je pense que je vais redescendre.
— Il commence à faire froid, en effet.
— J’ai encore plus froid après avoir vu Rich. »
En bas, le calme régnait. En passant devant la cellule de Broderick, je fus surpris de voir les deux soldats en faction se repasser un pot de bière. Celui qui l’avait en main tenta de le cacher derrière son dos lorsqu’il m’aperçut. Je fronçai les sourcils et regagnai ma cabine. Au moment où je m’installais sur ma couchette, j’entendis des éclats de voix dans la coursive. Je bondis à l’extérieur. D’autres portes s’ouvraient sur des passagers qui passaient la tête pour voir de quoi il retournait.
« Vous vous rendez compte de ce que vous faites, Dieu du ciel ? » hurlait le sergent Leacon. Les soldats étaient rouges de confusion. De la main de l’un des deux pendait piteusement le pot de bière. D’un coup de pied le sergent le lui fit lâcher. Le pot s’écrasa par terre et la bière se répandit sur le sol. Le soldat tituba.
« Vous me le paierez, sangdieu ! Suivez-moi chez Maleverer, séance tenante. »
Les deux soldats pâlirent. La porte de la cellule s’ouvrit alors et la tête de Radwinter apparut. « Qu’est-ce qu’il se passe, que diable ? » lança-t-il.
Rouge de colère, Leacon se tourna vers lui. « Ces rustres boivent pendant le service. Je les emmène chez Maleverer. » Sur ce il attrapa les deux soldats par le col et les entraîna à sa suite. Radwinter les regarda partir, souriant de la déconfiture de son rival. Je refermai le battant avant qu’il ait le temps de me voir.
Une main me secouait brutalement. J’ouvris les yeux, clignant les paupières. Quelqu’un brandissait une lampe. La porte de ma cabine était ouverte et j’entendis dans la coursive des chuchotements fiévreux. Je me dressai sur mon séant et découvris le visage sinistre de Maleverer. Derrière lui, dans l’ombre, j’aperçus Barak en chemise et les cheveux en bataille.
« Réveillez-vous ! lança Maleverer en faisant claquer ses doigts sous mon nez d’un geste rageur. Allons, debout ! »
Je me mis sur pied. Tout ébaubi, emmitouflé dans des couvertures qu’il serrait autour de lui, Giles se tenait dans l’embrasure de la porte à côté de Tamasin, enveloppée dans le manteau de Barak. Maleverer se tourna vers eux et les autres passagers, qui, réveillés, étaient sortis dans la coursive, et leur hurla : « Allez vous recoucher ! Je vais vous faire tous arrêter !
— À quoi rime tout ce raffut ? demanda Giles, d’un ton bougon que je ne lui connaissais pas.
— Retournez vous coucher, messire Wrenne ! » lui ordonna Tamasin en lui saisissant le bras pour l’entraîner vers la cabine. Des portes se refermèrent. Barak resta seul sur le seuil. Maleverer se retourna vers moi.
« Vous avez parlé à Broderick hier, dit-il d’une voix rauque. Que vous a-t-il dit ? »
Mon cœur fit un bond dans ma poitrine en me rappelant les paroles de Broderick : « Vous auriez pu être l’un des nôtres. Et il n’est pas trop tard. » « Je… Rien de particulier, répondis-je. J’ai essayé de l’interroger à propos de Jennet Marlin, mais il n’a fourni aucune réponse, comme d’habitude. Que s’est-il passé ?
— Je vais vous le montrer. Venez avec moi ! »
Il sortit brusquement de la cabine. Heureusement que je m’étais couché en chemise et en chausses. « De quoi s’agit-il ? demandai-je à Barak.
— Je n’en sais rien. J’ai été réveillé par des voix et des bruits de pas… Par là », fit-il en désignant du menton la cellule de Broderick. À ma grande surprise, la porte était entrebâillée.
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