Sang Royal
qu’aurait subi Broderick ?
— Probablement. » Je secouai la tête. « Je ne crois pas que Radwinter l’ait tué. Maleverer se trompe. Il est si borné qu’il ne voit que ce qui se trouve droit devant lui, comme un cheval à qui on a mis des œillères.
— Et pourtant tout désigne Radwinter. Il était seul avec Broderick au moment des faits et il a affirmé avoir été frappé à la tête alors qu’il n’y a aucune trace de coup.
— Tu sais bien qu’il est possible d’assommer quelqu’un sans laisser la moindre marque. Et il n’existe aucun mobile. Pourquoi diable Radwinter aurait-il fait ça ?
— Maleverer pense qu’il est devenu fou. Non ?
— C’est exact, mais c’est en partie à cause de moi qu’il le croit. » Je soupirai. Maleverer m’avait interrogé après qu’on eut emporté le cadavre de Broderick et avait pesté tant et plus contre Radwinter. Quand Leacon lui avait dit que j’avais traité le geôlier de fou, Maleverer s’était emparé de cette hypothèse et avait prétendu que c’était la diminution de son pouvoir qui lui avait fait perdre la tête, au point de s’en prendre à Broderick et de le tuer. J’avais souligné n’avoir nullement suggéré que Radwinter risquait de tuer le prisonnier, mais Maleverer n’avait pas été d’humeur à se laisser convaincre.
« Maleverer a d’autres raisons de croire que Radwinter a perdu la tête, dit Barak. Il paraît que ses nerfs ont lâché depuis qu’on l’a mis au cachot. Il hurle, vocifère et maudit Maleverer, appelant sur lui les dix plaies d’Égypte. Qui peut dire ce qui passe dans la tête d’un homme qui a perdu l’esprit ?
— L’histoire ne tient quand même pas debout, à mon avis. Comment Radwinter aurait-il pu agir seul ?
— Peut-être a-t-il d’abord assommé Broderick avant de le pendre.
— Je ne le vois pas prendre Broderick par surprise… Tu sais ce qui est arrivé, selon moi ? ajoutai-je après un instant de silence.
— Je vous écoute.
— Lors de notre dernière entrevue, Broderick paraissait calme, presque résigné. Et si quelqu’un était déjà allé lui rendre visite pour lui proposer cette solution, s’il souhaitait toujours se tuer ? »
Il sifflota.
« Ensuite, lorsque Leacon a renvoyé les deux soldats ivres et est allé faire son rapport à Maleverer, le visiteur attendait dans sa cabine, d’où l’on entend ce qui se passe dans la coursive. Il a assommé Radwinter…
— S’est emparé de ses clefs, a passé la torsade au cou de Broderick, puis a tiré sur ses pieds pour lui briser la nuque.
— Exactement. »
Barak fixa les eaux glaciales de la mer démontée. « Quelle atroce façon de se donner la mort ! Broderick devait avoir un certain courage.
— Ça, on le savait déjà. » Je suivis son regard. Broderick se trouvait désormais sous ces énormes vagues. Le capitaine avait refusé de transporter un cadavre jusqu’à Londres, redoutant que le voyage se déroule sous d’encore plus mauvais auspices. Il avait récité la prière des morts, puis, attaché dans un drap blanc, le corps avait été précipité dans la mer, heurtant les flots gris au milieu d’une gerbe d’écume, avant de disparaître à jamais.
« Par conséquent, l’un des passagers l’a tué.
— C’est ce que je pense. Un passager qu’il connaissait déjà.
— La personne qui vous a assommé au Manoir du roi ?
— Oui. » Je fis part à Barak des propos que m’avait tenus Broderick la veille. « Je suis certain qu’il connaissait l’identité de la personne qui m’avait assommé au Manoir du roi pour dérober les documents. Sinon, il aurait nié quand j’ai parlé de Jennet Marlin. Hier, il avait changé. Il était plus serein. Il n’avait plus peur de la Tour, même s’il avait toujours tenté de cacher cette crainte. Je crois qu’il avait déjà organisé sa pendaison.
— Mais comment ? Il était constamment surveillé ?
— Voilà bien ce que je n’arrive pas à comprendre.
— Avez-vous fait part à Maleverer de vos déductions ?
— Oui. Il les a repoussées en jurant et il m’a envoyé promener, puisqu’il croit tenir le coupable. Il lui en faut un, car, désormais, il va tomber en disgrâce. D’abord le vol des documents, et à présent le meurtre de Broderick… Après ces événements, je crains qu’il ne fasse pas la prestigieuse carrière qu’il espérait, commentai-je en souriant amèrement. Il ne la méritait
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