Sang Royal
Radwinter était assis par terre, affalé, la tête entre les mains, tandis que le sergent Leacon se dressait devant lui.
« Par ici ! » s’écria Maleverer. Je le suivis dans la coursive en traînant les pieds. Il ouvrit toute grande la porte de la cellule avant de s’écarter. Barak s’était approché lui aussi, et sa fidélité me mit du baume au cœur.
La cellule, l’une des grandes cabines du bateau, contenait deux couchettes, placées chacune contre une cloison et séparées par un espace. Au-dessus de cet espace, Broderick était suspendu au plafond, torse nu. Il s’était servi de sa chemise pour former une épaisse torsade de tissu dont un bout avait été accroché à une grosse poutre et l’autre passé autour de son cou. Il était mort. Son corps se balançait au rythme de la légère houle, au son du cliquetis des chaînes qui attachaient ses bras et ses jambes. Ses pieds se trouvaient à deux ou trois pouces du plancher. S’il avait été plus grand, il n’aurait pas réussi à se pendre dans cette cabine basse de plafond. Ses yeux étaient clos, la tête penchée selon un angle bizarre, le cou atrocement tordu. Je détournai le regard de sa poitrine décharnée et lacérée. « Grand Dieu ! m’écriai-je. Mais comment…, commençai-je en m’adressant à Maleverer.
— Les soldats s’étaient saoulés. Leacon me les a amenés et je les ai envoyés cuver leur bière. Ils ne perdent rien pour attendre ! Leacon et Radwinter sont restés seuls pour garder Broderick. Plus tard, Leacon est revenu me voir pour discuter de la punition à infliger aux soldats. Quand il est retourné à la cellule, Radwinter était allongé par terre près du banc. Il a expliqué qu’ayant entendu frapper à la porte, il est sorti de la cabine, mais n’a vu personne dans la coursive. Soudain quelqu’un l’a frappé par-derrière, lui a dérobé ses clefs, a défait les chaînes, puis a tué le prisonnier. » Il se dirigea vers Radwinter, qui leva les yeux, l’air abasourdi, déboussolé. Ce qui, paradoxalement, pour la première fois depuis que je le connaissais, le faisait paraître normal, humain.
« Il n’aurait pas pu se pendre lui-même ? demandai-je.
— Non ! » rugit Maleverer. Il avait perdu son prisonnier. Cela allait lui coûter cher. « Regardez ses poignets. Ils sont menottés derrière son dos, séparés par seulement six pouces de chaîne. On le menottait chaque fois qu’il devait rester seul justement pour qu’il ne puisse pas se faire du mal. Quelqu’un l’a aidé. On a attaché la torsade de tissu à la poutre, hissé Broderick sur la couchette et on lui a passé le nœud coulant autour du cou. Ensuite il a sauté…
— Soit. » Je me forçai à regarder le corps de plus près. « Et la personne qui l’a aidé a eu la bonté de tirer sur ses pieds dès qu’il s’est balancé pour activer l’étranglement en lui brisant la nuque. Il a finalement réussi son coup… » Je scrutai à nouveau le visage de Broderick, qui était légèrement tourné de côté, l’air étrangement apaisé. Il était enfin parvenu à se couper totalement de nous. À jamais.
« La version de Radwinter n’est pas crédible, déclara Maleverer, en foudroyant le geôlier du regard. Il prétend avoir été frappé sur la tête par-derrière, mais je ne vois aucune trace de coup… Je vous arrête pout le meurtre de votre prisonnier ! lança-t-il à Radwinter. Et, Seigneur Dieu, lorsque nous arriverons à Londres, d’une façon ou d’une autre, nous découvrirons le motif. »
Radwinter leva les yeux vers lui, avant de pousser un cri atroce, mi-hurlement, mi-gémissement. Maleverer fit un signe de tête à Leacon. « Bouclez-le et décrochez le cadavre ! Et Grand Dieu ! vous et vos soldats devrez aussi répondre de cet échec notoire. » Maleverer se tourna vers moi. « Eh bien, voilà ! La dernière chance d’en savoir plus sur les conspirateurs s’est envolée… »
Moi, j’étais certain que Radwinter n’y était pour rien. Maleverer avait simplement besoin d’un coupable et il en avait trouvé un. Une pensée me traversa l’esprit et mon cœur se mit à cogner comme un fou dans ma poitrine. J’avais eu raison de penser que ce n’était pas Jennet Marlin qui m’avait assommé au Manoir du roi. Mon agresseur se trouvait sur le bateau et avait aidé Broderick à mourir.
40.
LA TEMPÊTE S’ABATTIT SUR NOUS LE LENDEMAIN MATIN. Les flots démontés donnaient le mal
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