Sang Royal
n’apparaisse dans ses yeux. Que va-t-il faire ? pensai-je. Voilà pourquoi j’avais souhaité que Barak fût de retour. Pour utiliser la force, si nécessaire, et empêcher Giles Wrenne de sortir.
« Vous êtes toujours un réformateur de cœur ? demanda-t-il. Vous vous opposez à la restauration de la véritable religion ?
— Non. Je ne fais plus allégeance à aucune des deux parties. Je les ai trop bien vues à l’œuvre, l’une et l’autre. Je m’oppose à vous parce que vous êtes tellement persuadé du bien-fondé de votre cause que vous êtes aveugle aux conséquences inévitables de vos actes. Je doute du succès de votre rébellion, mais, quel qu’en soit le résultat, cela entraînerait effusion de sang et anarchie. La guerre entre le Sud protestant et le Nord papiste ferait des veuves, des orphelins, dévasterait les terres. Ce serait à nouveau la guerre des Deux-Roses. » Je secouai la tête. « Papistes ou réformateurs, c’est blanc bonnet et bonnet blanc ! Vous pensez détenir une vérité sacrée et croyez que si l’État est régi par ses principes tous les hommes seront heureux et bons. C’est une illusion. Les seuls bénéficiaires de tels soulèvements sont toujours des hommes comme Maleverer, tandis que les pauvres continuent à supplier le ciel de leur rendre justice.
— La véritable foi sera restaurée ! s’écria-t-il soudain d’un ton âpre, farouche. La véritable foi et un monarque légitime.
— Et le bûcher pour Cranmer. Et pour combien d’autres ? En cas de victoire vous créerez un monde qui sera identique à celui-ci, voire pire.
— J’aurais dû me rendre compte, rétorqua-t-il avec un profond soupir, que vous n’êtes pas un homme de foi… Le fait que le roi n’est pas de sang royal ne vous affecte donc pas ? ajouta-t-il d’un ton presque suppliant.
— En tout cas, pas au point de mettre l’Angleterre à feu et à sang.
— Alors, permettez-moi de partir tranquillement. Je ne vous ennuierai plus. Je vais vous laisser jouir de votre existence paisible, répliqua-t-il d’un ton acerbe.
— Si vous me confiez les papiers, je vous laisserai libre de partir. »
Les yeux baissés, il s’appuya au dossier de son siège. Il semblait réfléchir, mais je savais qu’il ne me rendrait jamais les documents, pas après ce long voyage.
Il releva les yeux vers moi, le regard toujours farouche, malgré le ton serein. « Ne m’obligez pas à faire cela, Matthew. Je ne peux pas vous remettre ces papiers. Cela m’a pris tant de temps…
— Je ne me joindrai pas à vous. »
Alors, il se leva d’un bond et, avec une dextérité dont je ne l’aurais pas cru capable, il se saisit de la soupière pleine, poussa une sorte de grognement, mi-fureur, mi-chagrin, et me la jeta au visage. Bien que je fusse plus ou moins sur mes gardes, je sautai en l’air en poussant un cri. Aveuglé, je m’agrippai à lui, mais il se dégagea et sortit de la pièce en trombe. J’entendis le pas lourd de sa course résonner dans le vestibule. Arrivé devant la porte d’entrée verrouillée, il lança un juron, se retourna et, tout essoufflé, se précipita vers l’huis donnant sur le jardin. Je sentis un courant d’air froid quand il s’ouvrit brusquement.
Je sortis dans le couloir. La porte du jardin était large ouverte sur des ténèbres criblées de pluie. On n’entendait que le crépitement des gouttes. Joan devait dormir dans sa chambre située en façade. Immobile, je fixai l’obscurité et les trombes d’eau.
48.
ON NE VOYAIT PAS GRAND-CHOSE DEPUIS LE SEUIL. La lumière émanant de la fenêtre de la salle n’éclairait que la pluie, qui tombait aussi dru que jamais, et les ombres floues des buissons et des arbres. Mon visage me picotait, mais le potage, qui avait eu le temps de tiédir sur la table, ne m’avait pas vraiment ébouillanté. Je tirai mon poignard de ma ceinture et fus à nouveau secoué de violents frissons.
« Giles ! criai-je. Vous êtes pris au piège ! Il est impossible de sortir du jardin, sauf par le portail donnant sur le verger, et la grille qui sépare le verger de Lincoln’s Inn est verrouillée durant la nuit ! Rendez-vous, c’est tout ce qui vous reste à faire ! » Pour toute réponse, je n’obtins que le bruit incessant de la pluie battante.
« Je vous en supplie, mon vieux, ne restez pas sous la pluie ! »
J’aurais pu attendre là, sur le seuil, le retour de Barak. Que se passerait-il si Wrenne
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