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Sang Royal

Sang Royal

Titel: Sang Royal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christopher John Sansom
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cartes regagnèrent un à un leur cabine. À travers la paroi, j’entendis Barak entrer dans la sienne puis le cliquetis des pièces jetées sur le coffre : à l’évidence, la chance était avec lui, ce soir. Je me déshabillai et me mis au lit, sans parvenir à dissiper mes sombres pensées. Je revoyais Jennet Marlin, cette étrange pie-grièche qui semblait en vouloir au monde entier… En un éclair, je compris qui elle me rappelait, si soudainement que j’en eus le souffle coupé.
    Dès l’enfance, ma difformité m’avait mis à l’écart. Je n’avais jamais été à l’aise parmi la bande de gamins des fermes du voisinage qui jouaient ensemble et chassaient les lapins dans les bois. Ils ne m’avaient jamais accepté, comme si, d’une certaine manière, je menaçais leur vigoureuse agilité. En outre, les bossus ont la réputation de porter malheur.
    Durant quelques années, ma seule compagne de jeu avait été une gamine de mon âge, la fille du propriétaire de la ferme qui jouxtait celle de mon père. Costaud, jovial, peu raffiné, le fermier était veuf et père de cinq grands garçons lourdauds et d’une fille unique : Suzanne. Après la mort de sa femme, le fermier semblait ne savoir que faire de cette petite fille. Un beau jour, je l’avais trouvée dans notre cour alors que je faisais voguer des bateaux en papier sur une grande mare. Elle m’avait regardé un moment, mais j’étais trop timide pour lui parler.
    « Qu’est-ce que tu fais ? avait-elle fini par me demander.
    — Je m’amuse à faire naviguer des bateaux. »
    J’avais levé les yeux vers elle. Elle portait une robe sale, trop petite pour elle, et ses cheveux blonds étaient hirsutes, tels des épis de paille. Elle ressemblait davantage à la fille d’un vagabond qu’à celle d’un fermier respectable.
    « J’aimerais bien jouer à ce jeu, moi aussi. » Elle parlait d’un air un peu renfrogné, comme si elle s’attendait qu’on la repousse. Pour ma part, j’avais souvent eu envie de partager mes occupations, et je m’étais dit ce jour-là que même une fille ferait l’affaire.
    « Eh bien, d’accord !
    — Comment tu t’appelles ?
    — Matthew.
    — Moi, c’est Suzanne. Quel âge tu as ?
    — Huit ans.
    — Moi aussi. »
    Elle s’était agenouillée près de moi et avait désigné l’un des bateaux « Celui-ci est mal fichu. Tas pas bien plié le papier. »
    C’est ainsi que pendant quelques années Suzanne devint ma camarade de jeu. Pas constamment, car il pouvait s’écouler plusieurs mois sans que je la voie. Peut-être son père lui avait-il interdit de jouer avec moi… Puis, sans offrir la moindre explication pour son absence, tôt ou tard elle revenait participer à mes amusements solitaires. Elle me persuadait de jouer à la dînette dans un coin de sa grange, puisant de l’eau dans les flaques pour la servir à sa collection de poupées de chiffon en piteux état. Certes, elle avait tendance à être autoritaire, mais sa compagnie m’était agréable. En outre, elle me faisait pitié, car rejetée par sa propre famille, sa mise à l’écart me semblait pire que la mienne.
    Notre amitié, si on peut appeler ainsi notre relation, cessa brusquement à l’âge de treize ans. Je ne l’avais pas vue depuis plusieurs mois, sauf de loin, le dimanche à l’église. Un jour d’été, comme je rentrais chez moi après l’office, j’aperçus un petit groupe de gamins et de gamines qui marchaient devant moi dans le sentier. Les fillettes étaient coiffées de béguins et vêtues de robes élégantes tombant jusqu’aux pieds comme celles des femmes adultes, tandis que les garçonnets portaient de vrais petits pourpoints et des bonnets. Les gamines se bousculaient pour marcher à côté de Gilbert Baldwin, un beau gars de quatorze ans qui menait toujours les jeux des garçons. À la traîne derrière la petite bande, une longue branchette de coudrier à la main, Suzanne fouettait les hautes herbes qui bordaient le chemin. Je la rattrapai.
    « Holà, Suzanne ! » m’écriai-je.
    Elle tourna vers moi un visage qui eût été joli, s’il n’avait été tout rouge et grimaçant de colère. L’ourlet déchiré de sa robe misérable pendait et ses cheveux dépeignés étaient rien de moins qu’une tignasse.
    « Fiche le camp ! » siffla-t-elle avec fureur.
    Je reculai. « Mais qu’est-ce que j’ai fait, Suzanne ? »
    Elle se retourna vers moi et me regarda droit dans les

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