Sang Royal
mais projette-toi dans dix ans. Préférerais-tu alors vivre d’expédients dans la rue, avoir les membres plus gourds chaque hiver, ou être bien installé dans ton poste à Lincoln’s Inn ? »
Il me regarda droit dans les yeux. « Je suis déchiré. D’un côté je veux rester, me ranger, mais d’un autre côté j’avoue avoir pris plaisir à l’incident de ce matin.
— Je vois. » Je respirai profondément. « Je serais extrêmement peiné de te perdre. Tu as illuminé ma vie professionnelle. Mais c’est à toi de décider ce que tu veux faire de la tienne ! »
Il sourit tristement. « J’ai été un clerc bien peu discipliné, ces dernières semaines, non ?
— Je ne te le fais pas dire.
— Désolé. » Il se mordit la lèvre. « Je vais prendre une décision, dans un sens ou dans l’autre, avant notre retour à Londres. Je vous le promets.
— Si tu veux en parler plus longuement avec moi, je suis à ta disposition.
— Merci. »
À nouveau, je pris une profonde inspiration. « Encore une chose… J’ai bien réfléchi et je pense qu’on doit se lever très tôt demain matin afin de retourner à la maison du verrier avant la répétition de la présentation des requêtes au roi. J’ai peur que Maleverer nous reproche de ne pas lui avoir dépêché un messager. Je veux aller vérifier si ceux qui ont fouillé la maison ont trouvé quelque chose dans la chambre. Si on découvre des signes indiquant que tel est le cas, on aura moins de souci à se faire.
— Et sinon ?
— On devra chercher nous-mêmes ! » lançai-je d’un ton décidé. L’œil de Barak s’alluma à cette perspective.
10.
IL NE PLEUVAIT PLUS LORSQUE NOUS QUITTÂMES LE RÉFECTOIRE. La nuit était déjà tombée, mais les ouvriers continuaient à travailler dans la cour. Trois énormes tentes se dressaient à présent près des pavillons et des manœuvres y installaient du mobilier : sièges ornés, grands bahuts de bois sculptés, coffres vraisemblablement emplis de vaisselle d’or, que des soldats escortaient. Tout cela avait sans doute été apporté de Londres.
De retour à l’endroit où nous logions, nous trouvâmes les clercs occupés à jouer aux cartes sur une petite table à tréteaux qu’ils avaient approchée du feu. Kimber et deux autres jeunes gens en robe d’avocat s’étaient joints à eux, ce qui me fit réfléchir à l’étrange convivialité de circonstance que le voyage royal semblait avoir suscitée. Kimber nous invita à participer. Je proposai à Barak de rester s’il le désirait, mais je décrétai préférer regagner ma cabine. Je fus un peu dépité qu’il accepte, alors que ces personnes m’avaient traité quelques heures auparavant d’avocat bossu… Je le laissai donc et entrepris de réparer ma robe de mon mieux à l’aide de mon petit nécessaire à couture. Une fois la tâche achevée, je m’allongeai sur mon lit.
Il était trop tôt pour dormir, malgré tout, et tandis que j’écoutais les cris de joie et les grognements des joueurs de cartes, selon leur bonne ou leur mauvaise fortune, une série de tracas vinrent me tourmenter l’esprit. Je pensai au départ précipité de Maleverer, regrettant de n’avoir pu lui apprendre que la maison d’Oldroyd recelait peut-être un mystère. D’instinct, j’avais pris la décision d’y retourner très tôt le lendemain matin, mais, après réflexion, je me confortai dans l’idée que c’était la meilleure chose à faire pour éviter des ennuis. Si on avait déjà découvert une cachette dans le mur, cela ne m’affecterait en rien, mais si c’était moi qui la trouvais, ce serait à l’évidence porté à mon crédit. Je reconnaissais volontiers que Maleverer me faisait peur. Aussi cruel et impitoyable que mon ancien maître Cromwell, il ne possédait pas sa finesse, n’étant mû que par l’ambition et le goût effréné du pouvoir. Cet homme était une brute sans vergogne et extrêmement dangereuse.
Et puis il y avait Broderick. Je me rappelai sa façon d’affirmer sans ambages que je l’engraissais pour les tortionnaires de la Tour. Je ne devais pas oublier néanmoins qu’il avait participé à un complot qui, s’il avait réussi, aurait plongé le royaume dans un bain de sang. Je me demandai à nouveau quel secret il pouvait bien connaître, pour effrayer à ce point Cranmer même. Mais sans doute était-il moins dangereux de demeurer dans l’ignorance…
Finalement, les joueurs de
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