Sarah
corps immobile de Saraï,
Sililli fut plus que jamais confirmée dans son opinion : Comment
pouvait-on dormir alors que deux femmes hurlaient à vos côtés ? Aucun
sommeil ne pouvait être à ce point profond.
Taraudée par un terrible pressentiment,
elle entreprit de faire une nouvelle toilette à Saraï. Elle en profita aussi
pour changer sa couche. Ses doigts butèrent alors contre les cinq petits
paquets de feuilles séchées.
Des paquets d’herbes maléfiques comme en
faisaient les kassaptu ! Blanchis et craquelés d’avoir séjourné dans
l’eau bouillie !
— Grand Ea ! Ô Grand Ea,
protège-nous ! Maintenant elle comprenait trop bien pourquoi Saraï s’était
absentée toute une journée de la maison. Égimé pouvait s’aveugler tant qu’elle
le voulait. Saraï ne dormait pas.
Oh ! que non ! Mais cela ne
valait pas mieux que d’être morte.
*
* *
Le lendemain, Saraï n’avait toujours pas
ouvert les yeux et chacun fut de l’avis de Sililli : elle ne dormait pas.
Pour autant, Sililli, dont la peau était
grise et les yeux rouges à cause du manque de sommeil, garda son secret enfoui
dans sa poitrine. De ses propres mains elle avait accompli la fin du
sacrilège : elle avait brûlé les paquets. Elle ne doutait pas qu’Ichbi
Sum-Usur préférerait ignorer jusqu’à la fin de ses jours que sa fille était
allée quérir des herbes chez une sorcière. Elle fut assez forte pour engloutir
le secret de Saraï si profondément dans son cœur qu’elle parvenait à accomplir
ses purifications quotidiennes et ses interminables suppliques à Inanna avec
presque autant de foi et de pureté qu’auparavant.
Toutefois, pas plus que les autres, elle ne
savait comment ramener Saraï parmi les vivants. Tandis qu’Ichbi Sum-Usur
dépensait une fortune en offrandes qu’il déversait sur les autels de tous les
dieux et déesses qui pouvaient se soucier du bonheur de la famille, Sililli
tenta de ne pas laisser Saraï mourir de faim et de soif avant que l’on puisse
vaincre l’œuvre des enfers.
Elle confectionna de la bouillie d’orge et
de l’eau de pêches. Avec une patience infinie, munie d’une cuillère de bois, elle
déposait la bouillie dans la bouche de Saraï. Parfois, dans une secousse
pareille à un hoquet, la gorge l’aspirait. Le plus souvent, elle y demeurait
jusqu’à ce que Sililli la retire avec ses doigts.
Égimé, venue l’épier depuis le seuil de la
chambre, ne put s’empêcher de lui conseiller d’un ton aigre de s’en tenir à
l’eau de pêche.
— Tu vas finir par l’étouffer, avec ta
bouillie ! À quoi bon nourrir quelqu’un qui dort ?
— À ce qu’il rêve longtemps, répliqua
Sililli sans se laisser émouvoir.
Au crépuscule, Ichbi Sum-Usur entra dans la
chambre de Saraï avec le devin qui avait dressé l’augure de son devenir
d’épouse.
Le barù se fit expliquer par le menu
la manière dont Saraï était entrée dans l’inconscience. Du mieux qu’elle put,
Sililli décrivit ses cris et ses souffrances. Le barù la questionna sur
les jours et les heures qui avaient précédé ce terrible moment. Sililli tut la
vérité sans trop craindre d’égarer la science du barù. Après tout, le
devin possédait ses propres instruments pour démêler le vrai du faux, c’était
là sa tâche et ce pourquoi on le payait.
Le devin fit apporter dans la chambre de
Saraï des foyers, des copeaux de cyprès, des huiles, des lampes, ses tablettes
d’argile finement écrites, des foies, des cœurs et des poumons de mouton, que l’on
disposa sur des tables d’osier au pied du lit de Saraï. Après quoi il réclama
la solitude et la clôture de la porte.
Il y demeura jusqu’au cœur de la nuit. Il
apparut si soudainement sur le seuil de la pièce fortement éclairée qu’il
réveilla ceux qui attendaient sur la terrasse. Ichbi Sum-Usur poussa un cri qui
acheva de terrifier les femmes. Le barù leva les mains pour les calmer
et, d’une voix où perçait l’étonnement, il déclara :
— La fille d’Ichbi Sum-Usur a les yeux
ouverts. Elle ne dort plus.
Sililli se précipita la première. Le devin
avait dit vrai. Saraï s’était même assise sur sa couche, tremblante comme une
feuille. Elle eut une ombre de sourire en reconnaissant Sililli, puis se laissa
retomber sur le dos.
Sililli lui attrapa les mains, suppliant Ea
le Grand Puissant pour qu’elle ne laisse pas, dans la confusion de son réveil,
échapper un mot qui puisse la
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