Sarah
compromettre. Mais Saraï demanda seulement :
— Qu’est-ce qu’il m’est arrivé ?
Sililli serra Saraï contre elle, chuchotant
déjà dans son oreille qu’elle savait tout, qu’il fallait surtout se taire,
quand la voix du barù annonça :
— Je l’ai dit déjà et l’extispicine le
confirme. La fille d’Ichbi Sum-Usur plaît à Ishtar. La Puissante de la Guerre
la réclame. La fille d’Ichbi Sum-Usur est faite pour le temple. Elle devra
renoncer au sang des épouses, ou elle mourra.
Deuxième partie
Le temple d’Ishtar
La Sainte Servante
Ils étaient une centaine, debout dans la
grande cour du temple, parfaitement alignés sur quatre rangs. Une centaine
d’hommes jeunes, revêtus d’une cape de cuir, la lance et le bouclier à la main.
La frise d’or, insigne des officiers, encerclait leur casque de cuir, invisible
dans la nuit finissante qui masquait tout autant leurs visages. Autour d’eux
veillaient les sculptures immenses d’Enki et d’Ea, celle de Dumuzi, le dieu
mort et ressuscité, ancêtre de tous les Puissants Ancêtres d’Ur. Et, luisante
de tout son or malgré l’obscurité, celle d’Ishtar, la Dame de la Guerre.
Ils étaient là, immobiles, attendant ce
moment depuis le crépuscule.
Les feux de naphte qui éclairaient les murs
et les escaliers de la ziggurat s’éteignirent l’un après l’autre. Un bref
instant, la nuit fut à nouveau entière, seulement faite de ses étoiles et du
lait des dieux. Puis le ciel s’éclaira doucement. La lumière du jour effaça les
étoiles. Sur les casques des jeunes officiers, les frises d’or commencèrent à
briller. Leurs yeux aussi brillaient, douloureux d’immobilité.
Alors, tout là-haut, les colonnes sacrées,
les plaques de lapis-lazuli, les encorbellements de bronze et les reliefs
d’argent de la Chambre Sublime captèrent le premier rayon de soleil.
Un soupir vibra dans l’air. Le vacarme des
trompes et des tambours des prêtres jaillit. Sur la plate-forme du temple, les
chanteuses d’Ishtar, vêtues de toge pourpre, lancèrent leur plainte :
O Dame illustre,
Étoile de la clameur guerrière,
Reine de tous les lieux habités, toi qui
ouvres tes
immenses bras de lumière…
La gorge râpeuse de ferveur, les jeunes
officiers unirent leurs voix à celles des chanteuses :
Toi qui fais se battre entre eux les
frères affectionnés,
Toi qui fais chanceler les dieux et dont
la seule vue
effraie les vivants,
Accorde-nous ta grâce,
O bergère des multitudes…
Les grandes portes du temple s’ouvrirent.
Tirés par des attelages de quatre chevaux, deux gros chariots avancèrent dans
la cour, encadrant un taureau qu’une dizaine de soldats maintenaient entre
leurs lances abaissées. Une perruque d’agate et de cristal reposait entre les
cornes de l’animal, un tapis parsemé d’anneaux de cuivre, de grains de bronze
et d’ivoire recouvrait ses flancs.
Lentement, au même rythme que le soleil qui
maintenant descendait l’Escalier du Ciel, les chariots et le taureau vinrent se
placer devant les guerriers.
Elle apparut alors sur la plate-forme sacrée.
Son diadème surmonté de trois fleurs d’or
au cœur de cornaline la rendait méconnaissable. Sa toge, blanche, serrée par
une ceinture d’or en forme d’épis d’orge entrelacés, soulignait la beauté de sa
taille. Un imposant collier aux perles de turquoise, aux boules d’or et de
bronze pesait sur sa poitrine. C’est à sa démarche que Kiddin la reconnut.
Il était là, au tout premier rang des
jeunes officiers. Et c’était bien elle, oui, aussi belle et stupéfiante qu’on
la lui avait décrite : Saraï, la Sainte Servante du Sang !
Sans s’en rendre compte, il frappa de sa
lance contre son bouclier. Cent mains l’imitèrent. Le taureau, transi par le
vacarme, beugla.
Saraï s’avança entre les chanteuses et les
prêtres. Ses pas semblaient posés non sur la plate-forme mais sur le choc sourd
des boucliers. Les paumes en avant, elle recueillit le chant qui jaillissait
des gorges ardentes :
O Etoile de la clameur guerrière,
Lueur céleste qui flamboie contre les
ennemis,
O colérique Ishtar, ruine des
arrogants !
Une supplique de chair et de sang qui
cherchait à faire trembler le ciel tandis que le soleil, de son mouvement
éternel, atteignait les frondaisons touffues qui ceignaient la ziggurat à
mi-hauteur.
Kiddin chercha à capter le regard de sa
sœur. Mais entre les épais traits de khôl, les yeux de
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