Sarah
briques vernies de vert et de jaune, ouverts
seulement pour les réceptions et les fêtes, séparaient la grande cour, à gauche
et à droite, de deux autres plus petites : celle des femmes et celle des
hommes. Les chambres du quartier des hommes, avec leurs escaliers blancs,
surplombaient le temple des ancêtres de la famille, les entrepôts et la pièce
des scribes de son père. Les habitations des femmes, elles, étaient construites
au-dessus des cuisines, des dortoirs des servantes et de la chambre rouge. Les
unes comme les autres donnaient sur une large terrasse en forme de lune,
abritée par des tonnelles de vignes et de glycine, et qui ouvrait sur les jardins.
Ainsi, la nuit, les époux pouvaient rejoindre les épouses sans passer par les
cours.
De son bosquet Saraï voyait aussi une
grande partie de la ville, et, la dominant ainsi qu’une montagne, la ziggurat,
la Plate-forme Sublime. Il n’était pas de jours sans qu’elle vienne en admirer
les jardins, pareils à un lac de feuillage entre le ciel et la terre. De leur
foison verte où croissaient toutes les sortes de fleurs, toutes les sortes
d’arbres que les dieux avaient semés sur la terre, surgissaient les marches
recouvertes de céramiques noires et blanches menant à la Chambre Sublime dont
les colonnes et les parois étaient recouvertes de lapis-lazuli. Là, une fois
l’an, le roi d’Ur s’unissait à la Dame du Ciel.
Mais aujourd’hui, elle n’avait d’yeux que
pour ce qui se passait dans la maison. Maintenant tout était à nouveau calme.
Saraï avait l’impression qu’on ne la cherchait plus. Tout à l’heure elle avait
hésité à rejoindre les servantes dans le jardin. Mais chaque heure qui passait
la rendait plus fautive. Il était désormais trop tard pour qu’elle quitte sa
cachette. Quiconque la verrait en cet état pousserait des cris d’effroi, se
détournant, se voilant les yeux comme devant une femme saisie par les démons.
Il était impensable qu’elle se présente ainsi devant les femmes. Toute la
maisonnée de son père en serait souillée. Elle devait attendre la nuit sans
bouger. Alors seulement elle pourrait faire quelques ablutions dans le bassin
d’irrigation du jardin. Puis elle irait demander pardon à Sililli. Avec beaucoup
de larmes et de terreur dans la voix afin de l’amadouer.
D’ici là elle devait oublier sa soif et la
chaleur qui peu à peu transformait l’air, immobile, en un étrange magma de
poussière sèche.
*
* *
— Saraï ! Elle se raidit.
— Saraï, réponds-moi ! Je sais
que tu es là ! Veux-tu mourir aujourd’hui, avec la honte des dieux sur
toi ?
Elle reprit ses esprits d’un coup. Elle
reconnut les mollets larges, la tunique jaune et blanc bordée d’un liséré noir.
— Sililli ?
— Qui veux-tu que ce soit ?
La voix de sa servante était rude, pleine
de colère, mais les mots chuchotés.
— Comment as-tu fait pour me
retrouver ? Sililli s’écarta de quelques pas, grondant d’une voix encore
plus basse :
— Cesse donc tes bavardages et
dépêche-toi de sortir avant que l’on nous voie.
— Tu ne dois pas me regarder, avertit
Saraï. Elle sortit du bosquet, se redressa avec peine, les muscles endoloris
par sa trop longue immobilité. Sililli étouffa un cri.
— Tout-puissant Ea ! Oh !
pardonne-lui, pardonne-lui !
Saraï n’osa pas lever les yeux vers la
servante. Elle fixa l’ombre courte et ronde qui s’agitait sur le sol. Cela
suffit à lui faire comprendre que Sililli levait les mains au ciel avant de les
serrer contre son giron tout en marmonnant, la voix oppressée :
— Puissante Dame du Ciel, pardonne-moi
d’avoir vu sa face souillée, ses mains souillées ! Ce n’est qu’une enfant,
sainte Inanna. Nintu bientôt la purifiera.
Saraï se retint de se précipiter dans les
bras de la servante. Dans un murmure à peine audible, elle s’excusa :
— Je suis désolée… Je n’ai pas fait ce
que tu m’as recommandé. Je n’ai pas pu.
Elle n’eut pas le temps d’en dire plus. Une
couverture de lin tomba sur elle, la recouvrant de la tête aux pieds. Les mains
de Sililli enlacèrent sa taille. Cette fois, Saraï put sans honte s’appuyer
contre le corps charnu et ferme de celle qui avait été sa nourrice, sa presque
mère.
Tout contre son oreille, à travers le lin,
sans plus de fureur dans la voix mais seulement le tremblement de la crainte,
Sililli chuchota :
— Mais oui, je connais depuis
longtemps cette
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