Sarah
hommes et femmes, qui acceptaient de prendre la route avec
Abram et Saraï, le camp tout entier semblait tourmenté. Des ombres allaient et
venaient, des lampes se déplaçaient, et l’on entendait par instants des cris
d’enfants, des pleurs ou les braiments des bêtes dérangées dans leur repos.
Alors que l’aube n’était plus très loin,
Saraï s’écarta des chariots que l’on venait de remplir. Elle alla s’asseoir sur
une pierre, se massant les reins pour se reposer. La lune en croissant se
couchait entre de petits nuages et, çà et là, les étoiles brillaient, fraîches
comme de l’eau de source.
Saraï sourit : le ciel ne s’était pas
effondré, le feu n’avait rien ravagé, l’eau n’avait pas englouti le monde,
comme tous le craignaient après qu’Abram eut brisé les saintes idoles.
Des mains se posèrent sur ses épaules. Elle
en reconnut aussitôt le poids et la pression. Elle se laissa aller en arrière,
appuyant son dos et ses épaules contre le ventre d’Abram. Il demanda
doucement :
— Tu ne L’as pas entendu comme je L’ai
entendu ?
— Non. Ton dieu ne m’a pas parlé.
— Tu étais sur le plateau, cependant.
Tu aurais pu L’entendre, toi aussi.
— Non. Je t’attendais.
— Ne viens-tu avec moi que pour
accomplir ton devoir d’épouse ?
— Je vais avec toi parce que tu es
Abram et que je suis Saraï.
— Pourtant, il y a peu, tu étais
encore la Sainte Servante d’Ishtar.
— Ishtar aurait dû me foudroyer de
l’avoir abandonnée. Voilà des lunes et des lunes que je ne dépose plus
d’offrandes sur son autel. Inanna ne m’a pas foudroyée. Pas plus qu’Ea ne t’a
tué.
Abram rit, et son rire fit tressauter la
tête de Saraï. Il lui caressa la joue.
— Crois-tu que Celui qui m’a parlé
existe ?
— Je ne sais pas. Mais j’ai confiance
en toi. Je sais, moi aussi, que le jour viendra où tu conduiras un grand
peuple.
Abram se tut comme s’il réfléchissait à ce
qu’elle venait de dire. Saraï craignit soudain qu’il demande :
« Comment pourrais-je engendrer un grand peuple avec ton ventre
vide ? » Mais il s’inclina pour l’embrasser sur la tempe et
murmura :
— Je suis fier de toi. Je ne voudrais
aucune autre épouse que Saraï, la fille d’Ur.
*
* *
Lorsque le ciel blanchit, ils étaient
fourbus mais prêts au départ. Sililli grognait, l’humeur querelleuse, assurant
que partir sans les chants et les adieux de ceux qui demeuraient dans le
campement allait leur porter malheur. N’était-ce pas ainsi que l’on se séparait
quand on avait commis une faute ou un crime ? Terah lui-même n’allait pas
saluer son fils. Tsilla, comme toutes les femmes d’expérience, affirmait que
c’était une chose unique et malheureuse !
Agacée, Saraï finit par lui dire qu’elle
n’était pas tenue de la suivre.
— Je comprends que tu veuilles rester.
— Ah, oui ! s’offusqua Sililli.
Et que ferais-tu sans moi et ma sagesse, ma pauvre fille ? Toi qui fais
toujours le contraire de ce qu’il faut ! À qui raconterais-tu ce que tu ne
peux confier à personne ? Bien sûr que je dois partir avec toi. Même si
l’on prétend que là où nous emmène ton époux, il n’y a que les barbares et le
désert, puis que le monde des hommes cesse pour s’enfoncer dans la mer.
Saraï ne put s’empêcher de rire. Sililli
bougonna :
— Mon âge au moins servira à quelque
chose : je mourrai avant de voir ces horreurs. Mais tu peux en avertir ton
époux : moi, je ne marcherai pas. Je serai assise dans un chariot.
— D’accord pour le chariot, dit Saraï.
Alors qu’Abram s’apprêtait à donner l’ordre
du départ, Loth avait disparu. Abram allait le chercher quand il accourut, tout
essoufflé :
— Abram, Saraï, venez voir, venez
voir !
Les tirant par la main, il leur fit
traverser le camp qui paraissait très calme, comme si chacun s’était enfin
résolu à dormir. Pourtant, lorsqu’ils parvinrent sur le chemin surplombant l’atelier
de Terah, ils découvrirent une longue file de chariots. Les pentes des collines
qui enserraient la route étaient blanches des troupeaux que l’on y avait
rassemblés. Et cent, peut-être deux cents visages se tournèrent vers Abram.
Hommes, femmes, enfants, vieux et jeunes. Plus du quart de la tribu de Terah.
Ils étaient là, patients, qui
l’attendaient.
Un homme du nom d’Arpakashad s’avança. Il
était de la même taille qu’Abram mais un peu plus
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