Sarah
colère
de Saraï. Mais il se tenait à son côté, affectueux et silencieux. Il leur
arrivait ainsi de demeurer des soirées ensemble, écoutant les chants et les
musiques du campement, écoutant les contes et les légendes que racontaient avec
force détails les marchands de passage ou les vieux d’un clan nouveau venu.
Saraï, parfois, laissait son regard se
perdre sur le beau visage de Loth. Elle tressaillait lorsqu’il éclatait de rire
à l’une des plaisanteries d’un conteur. Elle éprouvait un bizarre sentiment de
joie, de tendresse et de remords à le voir si fidèlement présent et attentif.
Elle disait à Loth :
— Pourquoi ne vas-tu pas près des
filles qui t’attendent ? C’est ta place.
Elle n’osait pas ajouter : « Il
va bien falloir que tu prennes une épouse. »
Loth la contemplait avec une expression à
la fois sérieuse et paisible. Il hochait la tête et répondait :
— Ma place est près de toi. Je n’en
désire aucune autre.
Alors, parfois, Saraï lui ouvrait ses bras.
Elle le serrait contre elle, lui déposait des baisers dans le cou et se
laissait embrasser, comme quand Loth était enfant. Lorsqu’elle surprenait ces
embrassades, Sililli grognait :
— Tu vas le rendre fou.
— Nous ne sommes pas mère et fils,
mais nous pouvons être sœur et frère ! répliquait Saraï, le rouge aux
joues.
— Sœur et frère ! Quand les
moutons auront des ailes ! grinçait alors Sililli, sérieusement fâchée.
J’aime Loth autant que toi, et je te dis que ce que vous faites de lui, toi la
belle et Abram l’indifférent, est d’une grande cruauté. Vous devriez l’obliger
à prendre une épouse, son troupeau, et à aller faire des enfants dans le désert
du Néguev !
Sililli avait raison. La poitrine de Saraï
se glaçait, la crainte lui nouait les reins : les fautes commises par elle
ou Abram s’accumulaient.
Une nuit, elle fit un mauvais rêve qu’elle
n’osa confier à personne, et surtout pas à Sililli. Elle se vit, sortant de la
rivière où Loth l’avait surprise. Loth n’était pas là. Elle était entourée
d’une grande quantité d’enfants, filles et garçons. D’étranges enfants au
ventre rond comme s’ils allaient enfanter et au visage vide.
Tout à fait vide : sans bouche, sans
nez, sans yeux ni sourcils. Et qui se ressemblaient tous bien qu’on ne pût
distinguer leurs traits. Cependant, Saraï n’en était pas effrayée. Elle
avançait dans les pâturages, ainsi accompagnée par la ribambelle d’enfants.
Tout dans Canaan semblait aussi beau que d’ordinaire. Des fleurs extravagantes
avaient poussé dans les champs de frais labours. Des fleurs sur de grandes
tiges, à la vaste corolle de pétales jaunes. Saraï et les enfants couraient en
criant de joie pour les cueillir. S’approchant, ils s’apercevaient que les
tiges étaient recouvertes d’épines dures qui interdisaient qu’on les empoigne.
Les fleurs elles-mêmes s’avérèrent être des boules de feu pareilles à des
soleils incandescents. Elles brûlaient la vue, elles brûlaient les champs,
elles desséchaient les arbres. Saraï se mit à crier d’effroi. Elle voulut
avertir Abram, Melchisédech et tous les anciens de la tribu :
« Attention, les fleurs vont tout détruire, elles vont transformer Canaan
en désert ! » Mais les enfants l’apaisèrent, caressants et toujours
joyeux, montrant leur gros ventre et disant : « Ce n’est pas grave,
ce n’est pas grave ! Regarde comme nos ventres sont gros. Nous allons
donner naissance à toutes vos fautes et vous pourrez les manger quand les
champs seront vides. »
*
* *
Quelques jours plus tard, alors que Saraï
s’était résolue à convaincre Loth de prendre femme et de s’éloigner d’elle,
avec un ricanement de dépit il annonça :
— Abram joue au père.
— Que veux-tu dire ?
— Parmi les nouveaux venus de Damas,
il est un jeune garçon qui ne le quitte pas d’une longueur de sandale. Ou c’est
Abram qui ne le quitte plus, comme tu voudras.
— Quel âge a-t-il ?
— Onze ou douze années. L’âge que
j’avais quand tu es devenue ma mère.
Le sourire de Loth était crissant comme une
pêche tombée dans le sable. Il haussa les épaules et ajouta :
— Un garçon joli, aux cheveux bien
bouclés. Une grande bouche, un nez long qui plaira aux femmes. De plus, malin
et tricheur au jeu. Je l’ai vu faire, il sait s’y prendre avec Abram. Beaucoup
plus caressant que je ne l’ai
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