Sarah
comment la sauver, elle ne parvient plus à parler, reconnut Saraï, la
gorge nouée.
Au milieu de la nuit, Sililli n’était plus
consciente. La fièvre semblait lui avoir retourné les yeux vers l’intérieur. La
sage-femme fut appelée vers d’autres tentes, où la même horreur se
reproduisait. Loth s’obstina et tenta de faire couler de la bière dans la gorge
de Sililli. Elle s’étouffa, cracha, vomit et pendant un temps parut s’apaiser.
Au matin, dans le froid de l’aube, elle
ouvrit les yeux. Paraissant tout à fait consciente, elle agrippa les poignets
de Saraï et de Loth. Ils voulurent savoir où trouver les herbes et comment la
soigner. Elle battit des paupières. D’une voix presque inaudible elle
murmura :
— C’est mon heure, je glisse dans le
monde d’en bas. Tant mieux, cela fera une bouche de moins à nourrir.
— Sililli !
— Laisse, ma fille. Il faut naître et
mourir. C’est bien. Tu as été le grand bonheur de ma vie, ma déesse. Ne change
pas, demeure ce que tu es. Même le dieu d’Abram pliera le genou devant toi, je
le sais.
— Il n’a pas de corps, souviens-toi,
tenta de plaisanter Saraï, le visage inondé de larmes.
Sililli esquissa un sourire.
— On verra…
Saraï ploya le buste, ainsi qu’elle le
faisait enfant, et posa le front entre les seins de Sililli. Ils tremblaient,
presque froids et pourtant vibrants de la fièvre. Doucement, la main de Sililli
se posa sur la nuque de Saraï.
— Loth ! Loth, souffla Sililli
dans un dernier effort. Oublie Saraï, trouve une femme.
Elle mourut avant que le soleil passe
l’horizon.
*
* *
Longtemps ce matin-là Saraï demeura debout
devant sa tente, envahie par la colère. Elle ne pleurait plus. Des pleurs, on
en entendait tout autour. Désormais, la peine de la perte et la souffrance de
vivre abreuvaient les seuls ruisseaux d’abondance de Canaan, des ruisseaux de
larmes !
Brusquement, Saraï se mit en marche. Elle se
dirigea vers la grande tente d’Abram. Il y avait des hommes autour de lui, en
palabres. Et Éliézer, assis à quelques pas.
Le visage d’Abram était fermé, dur,
fatigué. Pareil à une roche abrasée par le sable. Cependant, au premier regard
vers Saraï il comprit. Il demanda à chacun de sortir et de les laisser seuls.
Éliézer demeura assis sur son coussin. Saraï dit :
— Cela vaut aussi pour toi, garçon.
Éliézer la toisa, le feu dans les
prunelles. Il quêta un soutien auprès d’Abram. Mais, d’un geste, ce dernier lui
fit signe d’obéir.
— Ne sois pas trop rude avec Éliézer,
demanda Abram dès qu’ils furent seuls. Il n’est pas responsable de la famine et
son père et sa mère sont morts hier.
Saraï respira à pleins poumons pour apaiser
sa fureur.
— Et des dizaines mourront
aujourd’hui. Sililli est morte ce matin.
Sans un mot, le regard voilé, Abram baissa
la tête. Dans le silence, la voix de Saraï fut comme un claquement de fouet.
— Quel est donc ce dieu, Abram, qui ne
peut ni nourrir ton peuple ni rendre fécond le ventre de ton épouse ?
— Saraï !
— C’est ton dieu, Abram, ce n’est pas
le mien.
Les mains d’Abram tremblèrent. Sa
respiration soulevait sa poitrine, le sang palpitait à ses tempes. Saraï prit
peur. Elle songea à la fièvre de Sililli. Et si la maladie l’avait atteint, lui
aussi ? Elle se précipita, saisit les mains de son époux entre les
siennes, les porta à ses lèvres :
— Es-tu malade ?
s’inquiéta-t-elle.
Abram secoua la tête, le souffle court,
incapable de parler. Soudain, il agrippa les épaules de Saraï, la serra contre
lui, enfouissant son visage dans ses cheveux.
— Il ne me parle plus, Saraï. Yhwh se
tait ! Doucement, Saraï le repoussa.
— Est-ce une raison pour que tu
deviennes impuissant, toi, Abram ?
Abram se détourna avec un grognement.
— Ton dieu se tait, reprit Saraï, mais
ce silence doit demeurer entre toi et lui. Abram, mon époux, Abram, l’égal de
Melchisédech, celui qui nous a conduits depuis Harran, celui qui a ouvert la
terre de Canaan aux nouveaux venus, celui-là n’est pas réduit au silence !
Nous sommes là, devant ta tente, à attendre tes mots. Ils sont là, ceux qui ont
accouru vers toi, tremblant de faim et de fièvre. Ils attendent qu’Abram donne
l’ordre de démonter les tentes.
— Démonter les tentes pour aller
où ? Crois-tu que je ne songe pas qu’à cela depuis des lunes ? Canaan
est environné de famine ou de
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