Sarah
jamais été.
— Pourquoi traîne-t-il avec
Abram ? demanda Sililli. Il n’a donc ni père ni mère ?
— Il a tout ce qu’il lui faut. Et
surtout toute l’attention d’Abram.
— Montre-le-moi, demanda Saraï.
Le garçon s’appelait Éliézer et était en
tout point comme Loth l’avait décrit. Beau, vif, caressant et attachant.
Pourtant, au premier regard, il déplut à Saraï. Elle ne comprit pas vraiment
pourquoi. Était-ce sa façon de sourire en inclinant la tête sur le côté ?
Était-ce ses paupières un peu lourdes qui voilaient à demi ses yeux ?
— Peut-être es-tu jalouse ?
soupira Sililli. Avec sa franchise ordinaire, elle ajouta :
— Tu as des raisons de l’être.
Pourtant ce garçon est une bonne nouvelle. Abram s’est enfin aperçu qu’il était
las de ne pas être père. Il en découvre les joies avec cet Éliézer. Qui
pourrait le lui reprocher ? À vouloir devenir le roi d’un grand peuple
sans ressentir ce qu’est être père, ton époux commençait à m’inquiéter.
— Eh bien, moi, je ne vois rien dans
ce garçon qui doive me réjouir ! répliqua sèchement Saraï.
À la première occasion, elle demanda à
Abram :
— Qui est ce garçon qui ne te quitte
pas ?
— Éliézer ? Le fils d’un muletier
de Damas. Le sourire d’Abram était radieux.
— Il te plaît tant que cela ?
— C’est le plus adorable enfant de
Canaan. Il n’est pas seulement agréable à voir. Il est intelligent et
courageux. Il apprend vite et il sait obéir.
— Mais il a déjà un père, Abram. En
a-t-il besoin de deux ?
Le sourire d’Abram s’effaça. Pour la
première fois de toute leur vie d’époux, en cet instant Saraï vit qu’il
oubliait son amour pour elle.
Ils demeurèrent face à face, silencieux.
Redoutant l’un comme l’autre les mots qui pourraient jaillirent de leur bouche
et frapper comme des pierres. Saraï sut qu’elle avait vu juste depuis des
lunes. Sa beauté ne suffisait plus. La faute en pesait-elle plus lourdement sur
elle que sur Abram ?
Aussi, avec la plus grande douceur, elle
dit :
— Je sais depuis longtemps que cela
devait arriver. Nul n’a été meilleur que toi avec une épouse stérile.
Abram resta muet. Le regard dur, devinant
qu’elle voulait ajouter quelque chose et attendant.
— Toi comme moi, nous avons toujours
considéré Loth comme notre fils. Et dans les faits comme dans notre cœur, il
l’est depuis des années. Pourquoi lui préférer un garçon inconnu qui possède
son père et sa mère alors que tu pourrais adopter Loth, faire de lui la
descendance que je ne sais te donner ?
— Loth est le fils de mon frère. Il a
déjà une place à côté de moi, aujourd’hui et demain, répondit froidement Abram
avant de quitter la tente.
La nuit venait à peine de commencer. Une
fois de plus, il la passa loin des bras de Saraï.
*
* *
L’hiver suivant, le vent souffla sans que
la pluie tombe. La terre se durcit si bien qu’il devint presque impossible d’y
creuser des sillons. Au printemps, la pluie ne tomba pas et les semences
séchèrent dans le sol sans germer. Dès que les premières chaleurs de l’été
firent vibrer l’air au-dessus des pâturages, chacun songea à la famine.
Saraï, comme beaucoup, ne passait plus de
jours sans craindre le lendemain. Elle se souvenait de son mauvais rêve.
Parfois, il lui semblait que la terre de Canaan devenait comme son
ventre : belle et sèche.
Elle aurait voulu pouvoir se confier à
Abram, lui demander à nouveau : « Ne te trompes-tu pas sur le sens de
cette beauté qui s’agrippe à moi ? En me contraignant à une telle beauté,
ton dieu ne veut-Il pas te dire que ma faute est plus grande que tu ne le
crois ? Qu’il faut que je m’éloigne avant que la sécheresse de mon ventre
ne se communique aux pâturages de Canaan ? »
Mais quand elle évoquait ses tourments,
Sililli poussait des hauts cris et la pressait de se taire.
— Quel orgueil, ma fille, de croire
que la pluie tombe ou ne tombe pas à cause de toi ! Même à Ur, où vous
autres Puissants étiez capables de vous prendre pour le nombril du monde, il
fallait plus d’une faute pour que les dieux retiennent la pluie ! Et puis
je vais te dire : ce n’est pas avec ces billevesées que tu feras revenir
ton époux entre tes cuisses.
Durant tout ce temps, Abram semblait le
plus insouciant de tous. Il n’était pas de jours sans qu’il parte avec Eliézer,
d’un pâturage à
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