Sarah
l’autre, couchant à la belle étoile ici ou là, lançant des
filets au bord de la mer, apprenant au garçon à tresser des paniers ou des
nattes de jonc, à sculpter la corne et à dresser les mules.
Les voyant, la gorge de Saraï se nouait. Sa
salive en devenait acide comme si elle mâchait des citrons verts. Elle tentait
de se raisonner, d’écouter les conseils de Sililli : « Cela est bien.
Il le faut. Aime cet enfant comme l’aime Abram, ainsi tu seras heureuse à
nouveau. Que peux-tu attendre d’autre ? »
Mais non, elle ne parvenait pas à aimer
Eliézer.
Puis vint un jour où Melchisédech se rendit
dans la tente aux bandes blanches et noires.
— Abram, les semences ne germent pas,
l’herbe des pâturages se dessèche, l’eau diminue dans les rivières et les
puits. Nos réserves ne sont pas importantes. De vie d’homme, nul ne se souvient
qu’il y a eu de famine ici, sur la terre de miel et de lait. Mais le pays de
Canaan est devenu si peuplé qu’il peine à nous nourrir tous.
— Le Dieu Très-Haut nous a donné cette
terre. Pourquoi y répandrait-Il la famine ?
— Qui peut mieux le savoir que toi,
puisqu’il ne s’adresse qu’à toi ?
Abram hésita, fronçant le sourcil.
Melchisédech posa une main sur son bras et insista avec affection :
— Abram, j’ai besoin de ton aide. Nous
n’avons pas ton assurance. Nous avons besoin d’être réconfortés et de connaître
la volonté de Yhwh. Souviens-toi, je t’ai accueilli devant les murs de Salem en
disant : « Abram est mon ami le plus cher. »
Abram le serra dans ses bras et
déclara :
— Si Yhwh a une volonté dans cette
épreuve, Il me la dira.
Il ordonna des offrandes de jeunes
génisses, de béliers et d’agneaux. Il s’éloigna avec Eliézer pour aller crier
le nom de Yhwh partout où il avait dressé des autels dans Canaan. Cependant,
après une lune il admit :
— Le Dieu Très-Haut ne me parle pas.
Il nous faut attendre, rien n’advient sans que cela ait un sens.
— À quoi sert un dieu qui n’aide pas
quand on lui fait des offrandes ? osa quelqu’un.
La colère fit frémir la bouche d’Abram
avant qu’il se contienne et réponde :
— Vous avez connu dix années de
bonheur. D’un bonheur et d’une richesse si parfaits qu’ils ont provoqué l’envie
de tous les peuples autour de Canaan. Voilà qu’à la première sécheresse vous
l’oubliez. Libre à vous d’avoir vos pensées. Moi, je dis : Nous avons
connu le bonheur, nous connaissons la difficulté. Yhwh veut s’assurer que nous
avons confiance en Lui, même quand les temps sont durs.
*
* *
La sécheresse dura une année encore. Les
puits se tarirent, les pâturages jaunirent puis devinrent poussière. Les champs
de céréales s’ouvrirent en longues crevasses où les serpents guettaient la
moindre proie. Les sauterelles commencèrent à mourir, puis les oiseaux. Les troupeaux
devinrent fous. Les bêtes se lançaient dans des galops où elles se déchiraient.
Parfois, elles s’effondraient mortes sous le soleil. Ou le froid de la nuit les
terrassait.
Le roi Melchisédech ouvrit les jarres de
grains en réserve dans les caves de Salem, mais c’était bien trop peu. Chacun
allait avec sa faim, le teint gris et les joues se creusant. Saraï n’osa
bientôt plus se montrer. Comme tous elle maigrissait, mais sans que cela entame
sa beauté.
— J’ai honte de mon apparence,
confia-t-elle à Sililli un soir où l’une et l’autre ne trouvaient plus le
sommeil. Comment puis-je exposer cette horrible beauté qui me colle aux os,
alors que les femmes n’ont plus assez de lait dans leur poitrine pour nourrir
leurs enfants ?
Pour toute réponse elle entendit un souffle
rauque.
— Sililli ?
Sililli cherchait sa respiration,
grelottante, recroquevillée pour ne pas s’effondrer. La fièvre lui agrandissait
les yeux.
— Que t’arrive-t-il ? gémit
Saraï.
Sililli dut puiser dans ses forces pour
chuchoter :
— Ça a commencé dans l’après-midi…
Nombreux comme moi… C’est l’eau… L’eau pourrie…
Saraï fit appeler Loth et une sage-femme.
On enroula Sililli dans des couvertures et des peaux. Elle se mit à suer en
grinçant des dents. Ses lèvres par instants se retroussaient sur ses gencives
trop pâles.
— La fièvre l’emporte, constata la
sage-femme.
— Elle connaît les herbes, elle saura
ce qu’il lui faut ! se récria Loth.
— Elle n’est plus en état de nous
expliquer
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