Sarah
une question mais elle
n’en eut pas le temps. Les jeunes filles qui l’avaient accompagnée saisissaient
déjà sa tunique pour la mettre nue. La servante Hagar à son tour se dénuda.
Elle avait les hanches et les seins plus lourds que ceux de Saraï, et son corps
eut été parfait n’était une longue cicatrice, ourlée et nacrée de rose, qui
brillait en travers de ses épaules.
Saisissant la main de Saraï avec douceur,
elle la conduisit à l’escalier descendant dans le bain. Le lait d’ânesse était
tiède. Saraï s’y enfonça lentement, se laissant envelopper jusqu’à la taille
par sa caresse souple.
— Il y a un lit de pierre au centre de
la piscine, indiqua Hagar.
Elle montra à Saraï comment s’y allonger à
plat ventre. Un tabouret de bois recouvert d’un coussin empli de sauge lui
soutint la tête hors du lait.
— Respire profondément, dit Hagar. La
sauge te débarrassera les narines de la poussière des chemins.
Elle réclama des huiles et des onguents aux
jeunes filles agenouillées au bord de la piscine. D’une main experte, elle
entreprit de masser les épaules et les reins de Saraï, agitant la surface du
lait en vaguelettes odorantes.
Saraï ferma les paupières, s’abandonnant à
ce plaisir inattendu. Elle songea de façon fugace à Abram, se demandant si
Pharaon lui accordait un traitement aussi doux. Elle se demanda aussi pourquoi
ils avaient tant craint le roi d’Égypte. Un roi, un Puissant qui accueillait
ainsi les étrangers venant demander son aide pouvait-il être aussi cruel qu’on
le disait ? Ne s’étaient-ils pas laissé abuser par des racontars ?
Hélas, si cela était, Abram et elle avaient menti sans raison. Et ce mensonge,
loin de les protéger, n’allait-il pas causer leur perte ? Serait-elle en
ce bain de lait si Pharaon connaissait la vérité et la pensait épouse
d’Abram ?
— On t’a dit qui j’étais ?
demanda-t-elle à Hagar.
— Saraï, la sœur d’Abram, celui qui
croit en un dieu invisible. On dit aussi que ta beauté est insensible au temps.
Est-ce vrai ?
— Comment sais-tu tout cela ?
— Ma maîtresse, la plus récente des
épouses de Pharaon, me l’a dit. D’ailleurs, depuis hier, les épouses et les
servantes ne parlent que de ton arrivée.
— Mais lui, Pharaon, comment sait-il
qui je suis ? Hagar rit.
— Pharaon sait tout.
Saraï ferma les paupières, le cœur battant.
Pharaon savait-il vraiment tout ?
Le massage d’Hagar se fit plus insistant,
plus caressant. Malgré son inquiétude nouvelle Saraï sentit la fatigue la
quitter. Son corps, durci par le voyage et la chaleur, semblait se diluer dans
le lait de la piscine.
Sans interrompre les mouvements agiles de
ses doigts, Hagar babillait :
— Ma maîtresse m’a dit :
« Demain, tu serviras celle que l’on nous annonce comme la plus belle des
femmes vivant au-delà du désert de l’est. Elle m’a dit aussi : Je te
choisis, toi, Hagar, car tu es la plus belle de mes servantes et l’on verra si
cette Amorrite aura autant d’éclat en ta présence. »
— C’est vrai, approuva Saraï, tu es
très belle. Tes hanches sont plus belles que les miennes.
— C’est que tu n’es pas épouse et que
tu n’as encore pas eu d’enfants.
— Tu as des enfants ?
Hagar prit le temps avant de répondre.
D’une pression sur l’épaule elle fit retourner Saraï à plat dos. Lui massant
les cuisses, elle dit :
— Je suis née loin dans le sud, au
bord de la mer de Suph. Mon père était riche et possédait une ville où l’on
commerçait beaucoup avec le pays d’où tu viens. C’est pourquoi je parle ta
langue. Il m’a donné comme épouse quand j’avais quinze ans et j’ai enfanté une
petite fille. Quand ma fille a eu deux ans, Pharaon a fait la guerre à mon
père. Ses soldats l’ont tué ainsi que mon époux. Ils m’ont conduite ici. J’ai
cherché à m’enfuir, ce qui était stupide. Une flèche m’a déchiré le dos.
Désormais, cette cicatrice interdit que Pharaon m’offre comme épouse à qui bon
lui semble. Je suis servante. Parfois je le regrette, parfois non.
Surprise et émue par la sincérité de cette
confession, Saraï ne trouva rien à répondre. Elle sortit ses mains du lait et
caressa l’épaule d’Hagar, effleurant la pointe de sa cicatrice. Elles se
regardèrent avec amitié.
— Maintenant, je n’ai plus de
tristesse, dit encore Hagar. C’est ainsi, la vie des femmes. Les hommes nous
donnent, nous
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