Sarah
prennent. Ils se tuent les uns les autres, d’autres décident de
ce que nous devenons.
Saraï ferma les paupières en frémissant.
Elle aurait voulu raconter à Hagar comment elle s’était enfuie de Sumer avec
Abram. Le prix qu’il lui en avait coûté. Comment aujourd’hui elle avait menti.
Et découvert qu’Abram lui-même pouvait agir comme tous les hommes !
Hagar soupira :
— Peut-être, un jour, sortirai-je de
ce palais ? Peut-être, ce jour-là, ne le désirerai-je plus ? La vie
ici sait être pleine de douceur. Tu t’en apercevras avec le temps.
— Avec le temps ?
— Ma maîtresse est une épouse jalouse,
elle te craint d’avance mais elle ignore à quel point elle a raison. Quand
Pharaon te verra, il sera ébloui.
Saraï se redressa.
— Que veux-tu dire ? Que va-t-il
se passer ? L’étonnement figea le visage de la servante. Avec un sourire
complice et coquin, elle posa ses paumes douces autour des seins de Saraï et en
flatta les pointes :
— Que veux-tu qu’il se passe ?
Que font les hommes quand une femme les éblouit ? Même s’ils sont Pharaon.
Nous allons te vêtir, te parfumer, te maquiller, te parer de bijoux, puis tu
iras devant Merikarê, le dieu du Double-Pays.
Saraï agrippa les poignets d’Hagar,
embarrassée par la caresse autant qu’alarmée par ce qu’elle entendait.
— Et ensuite ?
— Ensuite, tu n’es ni une servante ni
une esclave. S’il pense que tu es vraiment la plus belle des femmes, ce qui ne
manquera pas, il te prendra comme épouse après s’être assuré que tu sais lui
procurer dans sa couche autant de plaisir qu’il l’imagine.
*
* *
Saraï s’avança sur la terrasse. Dans la lumière
tiède du soir, toute une foule s’y pressait. Femmes ou hommes, le visage
maquillé, tous arborant bijoux et parures, les poignets et le cou brillants
d’or.
Une salle immense prolongeait la terrasse à
l’intérieur du palais. Entre les colonnes qui séparaient le dedans du dehors,
de jeunes hommes jouaient de la musique, produisant des sons changeants et
graves en pinçant des cordes tendues entre des bois incurvés ainsi que des
cornes de taureau.
Les visages se tournèrent vers elle. Un
gong retentit. La musique cessa. Et rien ne se passa comme Saraï l’attendait.
« À chacun de ses pas, les plis de sa
toge dansaient contre ses hanches et ses cuisses. Le diadème de bronze et de
calcite retenant sa coiffure pesait sur sa nuque. Une longue parure de
lapis-lazuli se balançait sur sa poitrine, creusant le tissu entre ses seins et
révélant leur forme. Son maquillage soulignait l’incroyable grâce de son
visage. Tout à l’heure, elle avait surpris l’étonnement et l’admiration d’Hagar
alors qu’elle venait d’entourer ses yeux d’un trait de khôl. Elle se savait
belle. Et même dans la toute-puissance de sa beauté.
Assez puissante peut-être pour affronter
Pharaon. Pour se tenir devant lui et avoir le courage de lui avouer, avant
qu’il n’entraîne l’irréparable, le mensonge né de la peur d’Abram.
Les yeux avides, la détaillant de la tête
aux pieds, murmurant leurs commentaires, les courtisans s’écartèrent devant
elle. Pharaon était assis là, sur un grand siège recouvert de peau de lion et
aux accoudoirs sculptés de têtes de bélier. Merikarê, onzième dieu-roi du
Double-Pays.
La première surprise de Saraï fut de
découvrir son buste très mince et nu : il ne portait qu’un voile
transparent sur les épaules. Bien qu’il eût la peau fine, son visage
ressemblait à un masque. Un étrange cornet d’or pendait sous son menton. Ses
traits étaient fins et réguliers, ses joues parfaitement lisses. Un onguent
rouge soulignait ses lèvres, ses yeux et ses paupières étaient enduits de khôl,
un fard bleu nuit allongeait ses sourcils. Une coiffe de tissu à bande d’or, de
gaze et de cuir recouvrait ses cheveux et achevait de rendre son apparence
irréelle. Deux géants à la peau de nuit se tenaient debout derrière son siège,
coiffés de casques en forme de soleil.
Abram était là, debout parmi les courtisans,
revêtu d’une tunique pourpre que Saraï ne lui connaissait pas. Elle chercha son
regard. Il l’évita.
Comme le lui avait recommandé Hagar, elle
s’avança tout devant Pharaon. Ils se dévisagèrent, aussi immobiles l’un que
l’autre.
Ce fut sa seconde surprise : dans le
masque de Merikarê, elle ne décela ni émotion ni plaisir. Il l’examinait
pourtant sans
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