Sarah
retenue. Parcelle de visage après parcelle de visage. Puis son
corps. Mais sans laisser paraître l’étonnement et la convoitise que sa vue
d’ordinaire engendrait chez les hommes.
Décontenancée, Saraï baissa les paupières,
n’osa prononcer les mots prêts à franchir ses lèvres. Pleine d’appréhension, il
lui sembla que sa beauté se voilait, se ternissait. Que chacun dans la salle
voyait cette flétrissure. Cependant, d’une voix douce et légère où l’accent
était fort, Pharaon déclara :
— Ta sœur est aussi belle que l’on me
l’avait décrite, Abram de Salem. Très belle.
Saraï releva les paupières, soulagée, le
remerciement sur les lèvres. Et se tut. Le regard de Pharaon ne se portait plus
sur elle. Il scrutait Abram qui répondait :
— Je suis flatté et étonné, Pharaon,
que tu en saches tant sur nous. Moi, je suis si ignorant de toi et de ton pays.
— Je peux te dire comment j’apprends
les choses qui se passent hors de ma vue. Les marchands vont et viennent, ils
écoutent et voient. Et s’ils ne confient pas aux officiers de Pharaon ce qu’ils
ont vu, ils perdent leurs marchandises. N’est-ce pas très simple ? Ainsi,
je sais que tu crois en un dieu unique et invisible.
— C’est la vérité.
Saraï écoutait ce bavardage, la colère
grondant en elle. Était-ce là toute l’admiration qu’elle provoquait chez
Pharaon ?
Elle l’entendait qui demandait encore à
Abram :
— Si ton dieu est invisible et n’a
aucune apparence, comment connais-tu son existence ? Comment sais-tu si tu
lui plais ou lui déplais ?
— Il me parle. Il dirige mes actions
et mes pas en S’adressant à moi. Sa parole est Sa présence.
Toute la cour, sauf peut-être quelques
femmes, n’avait d’yeux que pour Merikarê et Abram échangeant leurs savantes
questions et réponses. Saraï tenta de repousser son agacement. N’était-ce pas
une chance que sa beauté n’éblouisse pas Pharaon ? Abram, après tout,
avait eu raison de la faire passer pour sa sœur. Contrairement à ce que lui
avait assuré la servante Hagar, Pharaon n’avait aucun désir d’elle et moins
encore l’envie de faire d’elle son épouse.
Elle pensait cela et aurait dû s’en trouver
satisfaite, rassurée. Pourtant, non.
Un irrépressible dépit lui brûlait les
joues. Elle serra les lèvres de colère. Colère contre Abram, colère contre
Pharaon ! Colère contre leur insultante indifférence, colère contre leur
impatience à s’affronter, se séduire et s’embellir eux-mêmes par l’éclat de
leurs pensées. Ainsi Pharaon, ses élégants sourcils froncés, brisait son masque
austère pour s’étonner, la voix suspicieuse, incrédule :
— Sans corps ni bouche ?
— Il n’en a pas besoin. Sa parole est
une présence suffisante, répondait Abram, tranquillement aimable, le ton
moelleux.
Abram sûr de lui et sans crainte. Pas même
celle que Pharaon méprise la beauté de son épouse devenue sa sœur ! Et
Pharaon se dressait, quittait son siège royal, frôlait Saraï comme une ombre
oubliée, s’approchait tout près d’Abram, plus grand que lui d’une tête.
— Ainsi ton dieu aurait créé le monde ?
— Oui.
— Tous les mondes ? Celui de
l’ombre comme celui de la lumière, du mal comme du bien, celui où vivent les
morts et les pas encore nés ?
— Tous.
— Ah… Et comment ?
— Par Sa volonté.
Humiliée, Saraï n’osait affronter les
regards des courtisans. Elle s’apprêtait à reculer, disparaître, fuir en
quelque endroit du palais. Mais Pharaon à cet instant se retourna. Il la toisa
d’un œil plus intrigué. Ses iris étaient teintés de paillettes vertes et
mordorées, ses lèvres pleines s’ourlaient, moqueuses. Les muscles dessinaient
des ombres mouvantes sur son torse nu aux tétons sombres. Malgré sa colère
Saraï le trouvait beau, attirant bien qu’étrangement peu humain.
— Comment peut-on créer un monde par
la seule volonté ? Encore faut-il l’engendrer, le faire naître. Comment un
dieu unique et solitaire peut-il accomplir ce qui ne résulte que d’une
copulation ? Je pense que tu fais erreur, Abram. Nos savants ont beaucoup
réfléchi à cela, et depuis longtemps. Selon eux, Atoum est venu à l’existence
de lui-même. Splendide, éblouissant. Mais incomplet et sans femme pour
enfanter. Alors il s’est masturbé et a jeté sa semence dans le vide. Chou,
l’air que tu respires, en est né. Atoum a repris son sexe
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