Satan à St Mary le bow
présent respectueux d’allumer des chandelles et de servir du vin au visiteur. Guisars prit Corbett par le bras pour l’emmener dans une pièce où il le pria de s’asseoir sur un petit tabouret. À l’aide d’une bougie, le portier alluma les chandelles de suif et de cire dans les appliques de fer judicieusement placées autour de la salle, qui respirait le confort et la richesse. Le plancher était de bois poli et aux murs pendaient de lourdes tapisseries à la bordure dorée et aux riches dessins dépeignant des scènes de la Bible. Au fond de la pièce se trouvaient une grande table en chêne et une chaise, et, au-dessus, des étagères et des rayonnages pleins de rouleaux et de feuilles de parchemin, nettement rangés et répertoriés. La table était flanquée de coffres en cuir et en bois lourdement cadenassés et renforcés de ferrures. Le vin fut finalement servi : deux gobelets de ce que Corbett reconnut comme le meilleur vin de Gascogne, réchauffé et légèrement épicé. Après que Guisars et lui se furent mutuellement porté des toasts et que le portier se fut retiré, l’orfèvre s’assit sur un coffre en face de Corbett.
— Combien voulez-vous ? demanda-t-il. Corbett sourit.
— Dix livres, mais n’ayez crainte, Messire de Guisars, la majeure partie reviendra. C’est pour le service du roi.
L’orfèvre, réjoui, fit un signe d’approbation. Le gobelet entre les mains, il avait l’air d’un gnome.
— Et ce service du roi ? demanda-t-il, la mine gourmande.
Corbett savait que Guisars lui poserait cette question et il avait soigneusement préparé sa réponse.
— Eh bien ! commença-t-il lentement, oui, je peux vous le dire. Il s’agit de Duket. Un membre de votre guilde qui s’est pendu à St Mary-le-Bow. On m’a demandé d’enquêter...
Il n’acheva pas en voyant la réaction de Guisars. Réaction de peur ? De terreur ? De culpabilité peut-être ? Corbett ne put se prononcer, mais la transformation qui s’était opérée chez le petit orfèvre était stupéfiante. Visiblement bouleversé, il était devenu livide.
Il se leva prestement, alla à l’un de ses coffres en cuir et compta les dix livres de Corbett en un rien de temps. Puis il revint et lui flanqua quasiment cet argent dans les mains, comme s’il était pressé d’être débarrassé de lui.
— Votre argent, Messire... Il ouvrit la porte.
— Il se fait tard et...
Il montra vaguement l’arrière de la maison. Corbett se leva, glissa les pièces dans sa bourse et se dirigea vers la sortie.
— Bonne nuit, Messire de Guisars, murmura-t-il. Je reviendrai peut-être.
Dans la rue sombre et glaciale, Corbett entendit la porte claquer derrière lui ; il comprit que déjà sa mission avait remué des eaux troubles. Il regarda le ciel dans l’espace étroit entre les encorbellements. La nuit était claire, les étoiles brillaient d’un éclat lointain. Sachant qu’il allait geler à pierre fendre, Corbett se mit à presser le pas dans Cheapside presque déserte. Il vit des ombres bouger dans une venelle et sortit son long poignard de dessous sa cape : les ombres se retirèrent dans l’obscurité. Il s’arrêta devant une taverne, attiré par sa lumière et sa chaleur ainsi que par son enseigne, une longue perche à houblon. Il avait froid et faim ; il se rendit compte soudain qu’il n’avait pour ainsi dire rien mangé de toute la journée, mais voyant la masse sombre de St Mary-le-Bow un peu plus loin dans Cheapside, il décida à regret que la taverne attendrait.
St Mary-le-Bow se dressait derrière un mur de pierres peu élevé, légèrement en retrait de la grande voie qu’était Cheapside. Le chevet nu et large faisait face à la rue tandis que la cour carrée et l’entrée se trouvaient de l’autre côté, près du cimetière. Parallèlement à l’église apparaissait ce que Corbett pensa être le presbytère, une construction aux poutres apparentes et au toit de chaume. Les deux bâtiments avaient l’air délabré et rongé par le temps. Il se dégageait de l’endroit un sentiment d’étrangeté lugubre, une sensation de menace silencieuse, mais sinistre qui lui fit froid dans le dos.
Corbett fit lentement le tour de l’église. Il remarqua l’entrée principale au pied de la tour carrée et une autre, plus petite, qui donnait sur la nef et qui semblait ne pas avoir été utilisée depuis des années. Les fenêtres étaient closes derrière leurs vantaux, la porte
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