Satan à St Mary le bow
Tour.
Corbett sentit le coeur lui manquer à la pensée du long trajet et des journées, peut-être même des semaines, de recherches dans les milliers de manuscrits gardés à la Tour, sous l’oeil attentif et peu coopératif d’un clerc inconnu. Couville perçut l’amère déconvenue du jeune homme et posa une main squelettique sur l’épaule de son ami.
— Ne vous inquiétez pas, Hugh. Je trouverai ce que vous cherchez. J’ai encore un certain pouvoir. Il me faudra peut-être un jour ou deux, mais je l’aurai et vous l’enverrai.
Corbett serra le vieillard dans ses bras.
— Merci, dit-il. Vous compenserez ainsi en partie le fait d’avoir été un maître aussi dur !
Sur ce, il tourna les talons et s’en fut tandis que le vieillard lui lançait une bordée d’injures affectueuses et lui criait de lui rendre visite plus longuement la prochaine fois.
Corbett s’éloignait déjà à grandes enjambées, foulant la boue, bien emmitouflé et dissimulé sous son capuchon ; il était quelque peu déçu par sa visite à Couville, mais décidé néanmoins à se rendre à la taverne d’Alice-atte-Bowe, sur St Mark’s Lane. Il connaissait bien l’endroit, une venelle qui partait de Paternoster Row près de la cathédrale St Paul. Corbett marcha un peu, puis se fit transporter par un charretier de Fleet Street qui apportait des produits de la campagne aux marchés et aux étals de la cité. Corbett descendit de la charrette à Paternoster Row et suivit Ivy Lane jusqu’à la place bordée d’un côté par le monastère de Greyfriars {14} et de l’autre par la grande église St Paul. S’y trouvaient aussi beaucoup d’étals et de boutiques et, bien que ce fût la fin de l’après-midi, le quartier était encore très animé. Corbett avança avec prudence, serrant sa bourse et gardant la main sur son poignard, en arrivant sur le parvis de St Paul par la grille ouest. Le lieu était un repaire notoire de « Wolfsheads {15} », hors-la-loi et membres de la pègre de la ville, qui vivaient dans l’église ou autour, prêts à s’y ruer pour bénéficier du droit d’asile au cas où auraient surgi les représentants de la loi. Corbett franchit le portail de St Paul et pénétra sous les voûtes de la nef : une foule dense se pressait dans ce vaste lieu. Du côté ouest, douze écrivains publics se tenaient prêts à rédiger documents, contrats, lettres ou obligations pour quiconque louerait leurs services. Des avocats à toge doublée d’hermine s’entretenaient avec des clients dans les bas-côtés ou discutaient entre eux des finesses de la loi, tandis que, autour d’un pilier, des serviteurs attendaient anxieusement qu’on les engageât. Corbett parcourut les lieux jusqu’à ce qu’il vît dans un recoin la personne qu’il cherchait : un écrivain public qui, assis derrière son écritoire, ressemblait à un oiseau, avec des mains fines et menues semblables à des pattes, une petite tête ronde penchée et un visage rubicond et enjoué sous une chevelure blanche. Corbett s’approcha.
— Matthew ! s’écria-t-il. Comment vont les affaires ? Levant les yeux, le scribe répondit en écartant les bras et haussant les épaules :
— Pas trop mal. Ça va, ça vient. En quoi puis-je vous aider ?
— Alice-atte-Bowe, dit Corbett. Elle a une taverne dans St Mark’s Lane. Laquelle est-ce ? Et que pouvez-vous m’apprendre sur cette femme ? Corbett savait que Matthew était une incorrigible commère qui avait le don d’être au courant de tous les scandales de la cité. Aussi fut-il surpris lorsqu’il vit le regard de l’homme se dérober et qu’il sentit sa peur émaner tel un parfum. Matthew jeta un coup d’oeil angoissé à la ronde et fit signe à Corbett de se pencher.
— Cela concerne-t-il la mort de Crepyn et le suicide de Duket dans St Mary-le-Bow ? demanda-t-il. Corbett répondit par l’affirmative et Matthew se mordit nerveusement les lèvres.
— Soyez prudent ! murmura-t-il. On dit qu’Alice est une femme redoutable. Elle était, selon la rumeur publique, la maîtresse de Crepyn. Elle a des liens avec la puissante famille des Lanfor. Elle a épousé un négociant en vins, Thomas-atte-Bowe, un vieillard qui est mort peu après le mariage en lui laissant toute l’affaire familiale. La taverne dont elle est propriétaire s’appelle La Mitre. C’est un endroit assez grand... et un endroit dangereux. Maintenant, partez, je vous en prie. Corbett obtempéra,
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