Satan à St Mary le bow
curiosité tandis que ce dernier tentait de la persuader que son nouveau compagnon était son assistant. Le jeune homme ne faisait guère avancer les choses en décochant des sourires diaboliques à la propriétaire, mais finalement Corbett et elles, parvinrent à un accord : Ranulf aurait droit à une minuscule soupente au fond de la maison, mais, tant qu’elle ne serait pas nettoyée, il lui faudrait dormir par terre dans la chambre de Corbett. Ranulf parut assez satisfait de l’arrangement, mais lorsqu’ils arrivèrent à la mansarde de Corbett, il sortit un trousseau de clefs qu’il avait subtilisé à la ceinture de la dame.
Corbett descendit le rendre avec des explications peu convaincantes, puis revint faire à son assistant penaud une leçon de morale bien sentie qui traitait de tout, de l’honnêteté jusqu’à l’enfer des Elms. Puis il dévoila l’affaire à laquelle il était mêlé, guettant les réactions de l’adolescent, mais celui-ci ne savait rien de l’assassinat de Duket ; il avait seulement reconnu en Peter un ancien bourreau. Le nom de Crepyn lui disait quelque chose, car il connaissait sa réputation d’homme puissant qui avait un pied dans le monde respectable du Guildhall et l’autre dans la boue des bas-fonds londoniens.
Surpris devant la façon de parler de Ranulf qui trahissait un certain vernis d’instruction, Corbett l’interrogea sur son enfance. Les explications de l’adolescent furent brèves et rapides : ses parents, honnêtes gens de Southwark, étaient morts lors d’une des nombreuses épidémies qui avaient ravagé la cité. Resté orphelin, il avait été recueilli par une tante d’un certain âge qui se trouvait être la maîtresse du curé de la paroisse. Celui-ci avait donné à Ranulf une certaine instruction avant que l’adolescent, rejetant toute autorité, ne s’acoquine avec des bandes de jeunes voyous et commette maints délits dont les opportunités ne manquaient pas à Londres. La suite, Corbett la connaissait.
Le clerc regarda le visage tout propre de l’adolescent qui aurait dû, si la justice avait suivi son cours, se balancer au bout d’une corde aux Elms, la face noirâtre, la langue pendante et le corps brisé. Corbett sourit. Il était heureux d’avoir sauvé Ranulf. Lui lançant une cape, il lui enjoignit de bien dormir, car, le lendemain, il le lui promettait, la journée serait rude.
CHAPITRE XI
Le lendemain, Corbett réveilla Ranulf d’un coup de coude et l’envoya chercher eau et petit déjeuner. Puis il s’habilla et ouvrit les volets. Bien que les toits et les larmiers des maisons voisines eussent de légers reflets argentés, la gelée matinale commençait à fondre sous le soleil. La journée serait belle. Corbett voulait laisser l’affaire en plan et aller rendre visite à Alice, mais il se rappela Burnell et, jurant à voix basse, il ouvrit sa malle. Il en sortit son écritoire et du parchemin fraîchement nettoyé et les posa délicatement sur le couvercle. Ranulf revint, un sourire narquois aux lèvres, et Corbett devina qu’il avait encore eu des mots avec la propriétaire dont l’attitude arrogante et maussade semblait faire ressortir le pire chez l’adolescent.
Corbett fit ses ablutions et obligea Ranulf à faire de même avant qu’ils déjeunent de la petite bière et du pain de seigle que le garçon avait rapportés. Pendant le repas, Corbett donna ses instructions : Ranulf devait s’occuper des provisions, aller rechercher le cheval laissé à Cheapside pour le reconduire à Westminster et enfin accomplir une tâche secrète dont la mention fit blêmir de peur l’adolescent.
— Qu’essayez-vous de faire ? hurla-t-il d’une voix de fausset. Me renvoyer à Newgate et à la corde de chanvre ?
Corbett le rassura : tout irait bien tant qu’il le protégerait des conséquences, « bien que tu sois trop bon professionnel pour être pris », ajouta-t-il malicieusement.
Le jeune homme le regarda d’un oeil torve, marmonna une obscénité et maugréait encore lorsque Corbett ouvrit la porte et le poussa vers l’escalier. Puis, assis sur le lit, son écritoire sur les genoux, le clerc réfléchit un moment et se mit à rédiger son rapport :
Mort de Lawrence Duket. Date du décès : 13 ou 14 janvier 1284. Lieu : St Mary-le-Bow, dans Cheapside. Lawrence Duket était orfèvre et habitait Walbrook. Ses affaires étaient assez prospères. Citoyen honorable, membre de la Guilde des orfèvres.
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