Satan à St Mary le bow
attaqué par deux fois et à présent on avait ôté la vie à ce pauvre adolescent. Il se sentit profondément découragé, il tâtonnait dans le noir comme un voyageur égaré qui serait à présent enfoncé dans une congère jusqu’à la taille ; quelqu’un savait quelque chose. Quelqu’un paierait pour cette longue plaie béante et furieuse dans la gorge d’un adolescent. Mais qui ? Était-ce Ranulf ? Pouvait-on lui faire confiance ? Avait-il été suborné ou payé par les assassins de Duket ? Corbett chassa brusquement cette idée trop fantaisiste que démentait l’aide apportée par Ranulf pendant ces derniers jours. Après tout, raisonnait-il, c’était Ranulf qui lui avait fait rencontrer le jeune homme ; il était hautement improbable qu’il eût arrangé le rendez-vous pour organiser ensuite l’assassinat de l’adolescent. La seule personne que Corbett soupçonnait de crime ou de complicité de crime était Roger Bellet, le recteur de St Mary-le-Bow, ce prêtre sinistre qui avait toujours l’air d’en savoir plus qu’il n’en disait. Corbett sentit monter en lui la colère et la frustration à la pensée du sourire sardonique et des commentaires sarcastiques de Bellet, et il décida qu’on l’avait trop longtemps nargué. Burnell lui avait donné carte blanche : à lui d’en user, à présent, et à son avantage.
CHAPITRE XV
Revenu à la Tour, Corbett demanda à s’entretenir avec le connétable, Sir Edward Swynnerton. Dans son logement, au premier étage de la Tour Blanche, le vieux soldat écouta attentivement la requête du clerc, mais signifia tristement son refus :
— Je ne peux pas faire cela, Messire ! Je ne peux pas arrêter un prêtre, ni le séquestrer, ni même le mettre à la question sans avoir un bon motif ou un mandat du roi ! Pouvez-vous imaginer la réaction de l’Église ? Le recteur d’une paroisse de Londres enlevé de chez lui et emmené à la Tour ! Je pourrais être excommunié, perdre la faveur du roi et me voir retirer mon office. Non, conclut-il, il m’est impossible de faire cela !
— Mais il se peut que cet homme soit un traître, lança Corbett avec emportement, ou qu’il soit coupable d’assassinats ou de complot envers le roi. Coupable aussi de magie noire. Aucune cour, ecclésiastique ou séculaire, ne défendrait cela, n’est-ce pas ?
— Bien sûr, acquiesça Swynnerton. Mais vous avez dit « il se peut » : vous n’avez pas de preuves. Vous n’avez pas de mandat royal et c’est ce qui compte !
Corbett refréna son irritation, car il comprit que sa colère ne ferait que rendre hostile ce vieux soldat déjà peu habitué à recevoir des ordres d’un simple clerc.
— Que se passera-t-il, dit-il lentement, si j’ai raison ? Si ce prêtre est un criminel aux yeux de l’Église et de la Couronne ? S’il est impliqué dans une affaire grave qui est révélée au grand jour ? Comment pourrons-nous — et il souligna le nous pour s’associer au connétable — comment pourrons-nous justifier notre manque de précautions ?
Il vit le doute s’insinuer dans le regard du vieux soldat et fut heureux de constater qu’il n’avait pas encore perdu sa cause. Il regarda le connétable faire quelques pas vers l’une des meurtrières dominant la cour intérieure et le laissa réfléchir avant de repartir à l’attaque.
— Vous comprenez bien, Sir Edward, que je ne vous ferais pas cette requête si je n’avais pas de bons motifs. Je soupçonne cet homme d’être complice d’assassinats et de faire partie d’un complot visant la personne même du roi. Vous ne pouvez pas vous permettre de ne rien faire, de vous laver les mains de cette affaire et de prétendre que cela n’est pas de votre ressort. De plus, ajouta-t-il doucement, s’il s’avère que j’ai raison, le roi vous en saura gré.
Le doute et la perplexité se lisaient sur le visage de Swynnerton qui s’était éloigné de la meurtrière. Le connétable lissait pensivement sa barbiche en cherchant de quelle manière il pourrait résoudre le problème qui se présentait à lui. Avec un soupir, il se dirigea vers la porte et appela un de ses aides à qui il ordonna de convoquer immédiatement le capitaine de la garde. Peu après entra un rouquin trapu et costaud, dont les traits rudes et le teint hâlé révélaient le soldat de métier. Il était vêtu d’une partie de son armure, et son allure, ainsi que le maintien qu’il adopta en pénétrant dans la
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