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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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mire. J’ai envie de meurtres et de douceurs. De puissance et d’humilité. De grandeur et de honte. J’attends qu’une épidémie purificatrice nettoie l’anatomie du monde, mais si cela se produisait, la nuit suivante je porterais le germe dans la masse en voie de guérison. Je suis hérissé de haine, mais mon cœur se consume d’amour pour vous tous, bons et mauvais. Je suis votre Christ et votre peur fatale. J’arpente la périphérie d’Opisthotonos, pays des sources taries. Je marche la main tendue au cas où quelqu’un s’aviserait de vouloir me conduire hors du cycle enchanté. Hors de la ville pourrie. Du malheur d’être. Des mille et un artifices sanguinaires. Ville pus. Rutilante et croûteuse. Limaces de laque, glauques de fards, dans les coins mi-obscurs des rues caverneuses, les putains décaties ont pris racine à chaque interstice du trottoir. Arbres de chair avariée. Troussez vos jupes, montrez ce qui reste de vos sexes. Un tubercule noir taché d’une goutte de sang comme une larme de pitié. C’est dans ce bubon informe que je m’enfoncerais avec délices si j’avais de quoi payer mon ticket d’octroi. Et qui n’en ferait autant à ma place ? Déversoir de toutes les faiblesses, de tous les ratages. La femme est un écran entre la peur de vivre et celle de mourir. Nous nous heurtons à elle comme à un suicide manqué. Je marche et nous marchons dans la contrée femelle. À l’aurore du premier matin. Enveloppés de lumière boréale. Sur le lac utérin du ciel le soleil s’étale comme un large sexe-nénuphar. Torse nu, les bras ensanglantés, Dieu recoud point à point sur son flanc la plaie rouge par où vient de s’échapper la Femme. De quelles profondeurs arrivons-nous ? Un cœur dilaté travaille à grands coups, quelque part, le souffle énorme, gobe et reflue tout le sang de la terre. Ballon du vide. Rétine de l’œil mort. Je vais ce soir par des voies viscérales dans une chaleur de goudron, un orvet à la place du sexe, à la conquête improbable de moi-même dans le cercle d’évidence de la matrice engrossée. Le goût d’urine colle à ma langue. Des placentas ébauchés se dessèchent de loin en loin contre des murs dressés, interminables, d’une éclatante blancheur. Toute progression n’a lieu ici que dans un sens. Vers l’orifice. Par ce boyau étranglé entre des murs vernis. Ma mère a emprunté le tendre et pur visage de Marie la Vierge pour se prostituer à l’angle des rues souffreteuses. Elle est là à l’encan, avec vos sœurs, vos femmes, vos amoureuses de légende. Mastodontes du désespoir parachevé. Rangées devant les façades sous l’éclairage grisâtre. Je passe lentement devant chacune d’elles. Petits signes obscènes de leur part. Un coup de langue sur les lèvres ou une main caressant leurs seins par en dessous. Je leur souris bêtement et vais me poster au bout de la rue. Pour les voir encore. Voir d’autres hommes passer devant elles, leur parler, en suivre une. Combien demanderait la vieille, décharnée, osseuse, les joues creuses, les yeux enfoncés, tête de mort barbouillée de poudre blanche, la bouche comme un moignon frais ? Elle est enroulée dans un large manteau, ratatinée, frileuse malgré la chaleur de la nuit. Combien – juste pour une sucette ? Ou me faire branler sous une porte cochère. Si je dilapide le peu de fric qui me reste, je ne bouffe pas demain. Pourtant l’idée de me faire branler dans la rue m’envenime le sang. Je me rapproche de quelques mètres. Elle a des gants. En plein été. Peut-être est-elle un peu folle, ce qui serait merveilleux. Des gants noirs. Poser ma queue dans une main gantée. Est-ce plus doux ? Vieux paquet d’os. Doit être monstrueuse toute nue. Comme au cinéma les documents sur les difformités des peuplades primitives. Elle se fait embarquer par un grand type maigre à lunettes. Va-t-il baiser ça ? Non pas. Même idée que moi. Ils se dirigent vers un coin sombre. La branlette de velours. J’aurais dû tenter ma chance. Elle doit faire ça à l’amiable, si cadavérique, si vieille et maladive. Encore trop cher pour moi de toute façon.
    Pourquoi m’obstiner à attendre je ne sais quoi d’un coup du sort au lieu de baisser pavillon et d’accepter n’importe quel travail de jour ou de nuit dans une usine, puisque l’usine est le dernier refuge ? Pourquoi ? Parce que je ne suis pas un manœuvre, mais un écrivain. Et retenez bien ceci : que je

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