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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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n’écrive que par à-coups et que je ne me sois pas encore montré à la hauteur de la tâche n’enlève pas une once de foi à ce que je viens d’émettre. Car ce que personne ne peut faire à ma place, c’est vivre ma vie avec l’intensité du dégoût, de l’amertume, de la rage et de l’ineffable joie qui m’inonde par tous les pores quand je me dis à moi-même, quand je sens, que je suis réellement un écrivain.
    À partir de là, la question n’est pas de savoir si je crèverai de faim un an ou ma vie entière, il est question de la minute unique où se produira en moi la déflagration souveraine qui fera que d’un coup un livre, vingt livres, cent livres seront effectivement écrits et jetés en pleine figure de tout homme qui tombera, même par hasard, sur une de ces pages.
    À présent, laissez-moi ausculter ce qui vit et meurt, en moi et autour de moi.
    Je partage en deux mes dernières cigarettes. La nuit est sans parfum. Nuit de béton. Mamelle sèche. Il s’est trouvé des esprits cubiques qui ont cru bon de suer sang et eau sur des épures pour édifier en termes géométriques la cité impersonnelle dans laquelle je circule ce soir, moi, homme encore à demi civilisé épris d’espaces et de nature folle. J’imagine que le problème urbain n o  1 a dû être d’empêcher l’herbe de pousser à tort et à travers. L’herbe et les fleurs, comme le crocus sauvage par exemple, le narcisse des champs, les tiges de plantain, la menthe et les églantines sur les buissons de ronces. Empêcher la terre de respirer. Ils ont trouvé le rouleau compresseur. Et puis, le macadam. Ils ont macadamisé ! Ils auraient tout aussi bien riveté sur le sol des plaques de blindage de plusieurs mètres d’épaisseur si le bitume ordinaire n’avait pas fait l’affaire. C’est gagné. C’est lisse et mort. Rectiligne. La morgue. Les voitures de désinfection lâchent leurs nuages de poison aseptique deux ou trois fois la semaine. Arroseuses chaque matin. Et bientôt, vous trouverez au premier courrier l’emploi du temps et la manière de penser pour la journée. Serez directement éjectés de votre plumard par le fonctionnaire de garde de la préfecture qui pressera le bouton de la sonnerie matinale en relais avec vos appartements. Après quoi, un petit tour bras dessus bras dessous à la mangeoire et vous partez en groupes sur le tapis roulant affecté à votre lieu de travail ou, le dimanche matin, au forum colossal de l’Église Populaire. Service religieux en Christorama 100 %, la visibilité normale étant nulle au-delà du sept cent soixante-dix-septième rang. Il se peut que la messe elle-même soit enregistrée sur magnéto et que le curé de service n’ait plus qu’à officier en play-back. Ne sentez-vous pas combien sera bouleversant le meeting mystique du dimanche ? Excellent pour l’émulsion de la fibre superstitieuse.
    Contraste des lumières. Ça papillote, glue néon jusque sur les toits. Le doux opium. Les types en uniforme pour la retape à la porte des boîtes. Vous vantent le cheptel. Tableaux vivants. Cuisse à champagne. Gros bides qui stoppent dans leurs bagnoles chromo-clinquantes. Rue de la Joie. Que vont-ils voir, nom de Dieu, qu’ils ne puissent s’offrir à domicile ? C’est un prodige. Qu’on me donne à moi un peu de pèze à mettre dans le commerce et je vous montrerai comment j’embarque une oie blanche dans mes pénates. Pas besoin d’aller m’énerver les glandes dans ces bordels pudiques. Juste bon pour vous faire triquer au mirage. Le con dodu de l’entraîneuse rabotant votre braguette dans la gelée musicale. Quand les projecteurs se rallument, elle vous tire par la main jusqu’au bar où l’attend son boni sur le liquide. Ça se redéclenche. Petit rythme langoureux. La salope fait mine de fondre entre vos bras comme si ça y était. Vous regarde complice en devinant la grosseur qui s’épanouit contre son ventre. Les couilles en branle et sérieusement lorsque, crac ! l’orchestre s’interrompt, lumières, en tas avec les autres sur la piste et ça revient au même que s’il ne s’était rien passé. On a toujours l’air de rejouer la scène précédente, assis sur le tabouret du bar à côté d’une poule en aluminium, amnésique par surcroît, distante, distinguée et tout. Qui a encore et interminablement soif de ce qu’il y a de plus cher dans la boîte en fait de bibine. Jusqu’à la fermeture, quand madame vous annonce d’une

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