Septentrion
poussiéreux. Limbes du premier palier. Empire morbide, empire archaïque de la pensée. Il est minuit peut-être au cadran inversé d’un millésime futur. C’est l’heure zéro des destinées. La rue récite pieusement une dernière fois les psaumes de la peur avant d’entrer en catalepsie, tirant à sa suite ses couples momifiés, bêtes siamoises de l’amour. Couples disparates qui exécutent fidèlement tous les gestes enseignés du culte érotique. Dernier vertige en commun aux approches des marécages utérins. Comme si cet univers des créatures du non-sens allait sombrer corps et biens dans l’œuf tiède des matrices accueillantes. Calice des ventres. C’est ici l’espace premier. Le sanctuaire de vie. Nous sommes le pain sacré de ce ciboire. Voici l’exacte proportion du tout : une vulve !
Partons d’un solide éclat de rire et arrosons cette découverte d’une seconde tasse de café chaud.
Il fait beau et le soleil lui aussi est une matrice à sa façon. Matrice solaire. Rose matricielle. La rose était connue dans la plus haute Antiquité. La matrice aussi, je suppose. Trouvailles à noter pour le livre futur. Me manque juste un crayon. Juste le courage d’en demander un au garçon. Manque l’étincelle sublime qui mettrait soudain toute la lourde machinerie en branle. Appelons cela l’électrification du génie. Humph !
Je sais qu’à dater du jour où j’aurai eu la force de m’emparer de ce malheureux bout de crayon, ce ne seront pas des notes éparses, mais des milliards de mots qui jailliront de moi, cœur révolté du volcan en déroute. Je ne cesserai plus de m’épancher. Larmes intarissables destinées, si peu que ce soit, à irriguer la corne sèche qui se ratatine derrière les fronts têtus des buffles, mes semblables, que je côtoie ordinairement. Le seul doute qui me retienne encore est d’ordre subjectif : saurai-je parler le langage buffle ? Oui, sans doute, si j’accomplis ce miracle de m’enfouir dans les labyrinthes du moi ancestral où tous les langages se confondent en un seul cri syncopé. Se frayer un chemin dans cette nuit orageuse, frémissante du ululement des morts, ne doit pas être entreprise commode, c’est tout ce que je peux dire.
Mauvais moment pour entamer l’expérience. Trop de mollesse dans l’air ce matin. Trop de sexe en vadrouille. Trop de jambes qui défilent sur le trottoir, durement cambrées par les talons hauts. Personne ne réussira jamais à mettre toutes ces jambes dans un livre, eût-il cent mille pages, pour la raison bien simple qu’écrire c’est passer à côté de la vie.
La peste soit donc du crayon et des trouvailles !
Perles dans la fange. Qu’elles y restent. Matinée trop claire. Vénérienne, à proprement parler. Faute sans doute à ce sacré bon vieux soleil. Il y a une chanson qui commence comme ça, non ? Ou un poème ? Whitman, je crois. En écrire un moi-même. Sur la matrice. Rose pourpre. Caillée. Dégage à sa floraison un parfum fétide de grenier mal aéré. Preuve qu’au fond il y a un cinéma. Une vraie salle climatisée, moquette, fauteuils, lampe électrique, caramels, esquimaux, lavabos et sorties de secours obligatoires. Un seul programme. D’Adam à l’Antéchrist. Le film de la vie. En exclusivité exclusive. Actualités des cent prochaines années. Avec les naissances célèbres des décennies à venir. Comme si vous y étiez. En supplément à toutes les séances, Jésus II victime de la faiseuse d’anges. Filmé pour vous à l’aide du spéculum électronique par Wiroslaw Dubois, de la chaire en Sorbonne. Du jamais vu. Vous tire les larmes de l’œil pinéal, autrement nommé satori ou troisième œil. Envisagé sous cet angle, mon poème ne pourra jamais être qu’une œuvre d’anticipation, et ne suis-je pas en droit de me demander si les buffles ont un avenir ? À mes risques et périls. Une fois écrit et imprimé, en expédier un exemplaire à la lesbienne de chez Lehmann. S’enorgueillira d’avoir saqué un prestigieux écrivain de langue française. Avait flairé que je n’étais pas un énergumène comme les autres. M’a fermement renvoyé à mes chères études, la putasse ! Heureuse initiative de sa part. Témoin ce poème amplement dédicacé à son nom. J’aurais dû lui demander sa carte. Tant de choses que je devrais faire. Chercher sérieusement du travail. Écrire un livre. Passer un joyeux moment sur le bide d’une fille guillerette. Ou alors la
Weitere Kostenlose Bücher