Septentrion
sieste en attendant le soir. Rentrer à mon hôtel, pousser le verrou, me laisser insensiblement filtrer par un bon sommeil capitonné jusqu’à ce que les événements prennent meilleure tournure. Dormir cinq ou dix ans de sa vie, d’une traite, aussi longtemps que les conjonctions ne vous sont pas favorables, et savoir se réveiller sourire aux lèvres, pour cueillir les fruits mûrs de la saison. Doux coma temporaire comme on tire le rideau de tulle sur la grosse chaleur d’été carillonnante de mouches nerveuses.
Enfin, quoi qu’il arrive, looping the loop.
Voilà le premier commandement en ce monde et celui qui les résume tous.
Et puis quoi ? Hier, aujourd’hui ou la semaine d’avant. Pas un cheveu de différence. C’est tous les jours la Sainte-Gudule, si vous voyez ce que je veux dire. Tant que le dôme céleste ne nous dégringolera pas en vrac sur le coin de la gueule, n’y aura rien à espérer d’inédit ou de miraculeux. Or il advint qu’au septième jour , après que tout eut été jugé bel et bon , les habitants de là-haut en eurent par-dessus les oreilles de ce chamboulement sans queue ni tête et qu’ils exigèrent de qui de droit que le miracle fût radié de la constitution en exercice. Ne nous reste donc plus grand-chose. Le problème est réglé. À nous de nous démerder comme bon nous semble. Rien à attendre ici-bas que chardons et coups de pied au cul. Sous son aspect le plus riant, la vie n’est qu’une sauce à la punaise férocement corsée.
Finalement, je me pose la question : avais-je, oui ou merde, des illusions ? Et comment ! Des tonnes ! Trop long à expliquer ici. Réservons cela pour le courrier confidentiel et ne nous égaillons pas dans les massifs de verdure. Bouseux tu es, bouseux tu restes. Serre-moi la main, camarade. La bétonneuse a un appétit dévorant. Donne à plein rendement. En général, vers les six heures du soir, je fais partie intégrante de la mêlée, soit que je revienne d’une tentative d’embauche vite avortée, soit que j’aie décidé de faire un tour dans le quartier de mon choix.
Soirs lumineux de l’été écarlate. Le ciel s’engorge. Languettes vertes et rouges. Œil fou, le soleil aveuglé d’or s’écrase en larmes, brûlant, derrière le parapet de la ville. Déclin de poussière. Mort trépignante. Les rues sont jugulées de chaleur. La nuit met longtemps à se poser, en sourdine, parsème des granules d’ombre sur ce moule de clarté violente. Comme un voile de poudre. Si légère, si fine. La nuit. Et la sarabande recommence. Zénith du sexe. Nichons en proue. Des miches faramineuses. Ça passe. En pagaille. Plus que je ne saurais en baiser en mille ans de vie. Jeunettes aux seins de pierre. Si insolemment jeunes. De la couvée de l’année. Corps graciles, si fringants, un brasero dans le sang. Quel est le fruit comparable au sexe de jeune fille ?
Ces virées nocturnes sur le garde-fou érotique ont pour résultat de me mettre le moral au niveau de rien.
Demain, me dis-je, tu te lèveras à six heures tapantes, ce qui te donnera une longue journée pour chercher du travail et te fera coucher plus tôt demain soir. Tu te boucles dans ta chambre et l’air n’en sera que plus respirable. Rentre donc tout de suite pendant que tu y es. À quoi bon attendre encore, il en sera de même à minuit ou à deux heures du matin, l’argent ne va pas te tomber du ciel – ni les femmes, par conséquent.
Mais le lendemain soir s’amène et je glisse au gré du courant qui me tire irrésistiblement. Seul à traîner mes grolles de rue en rue, passé minuit, passé deux heures et même passé la hantise sexuelle qui m’étreignait, éteinte par la fatigue. La nuit et moi nous faisons bon ménage. Je me tiens plaqué derrière son écorce comme un malfaiteur. Mouvant, faux, menteur, dangereux, énigmatique et sourdement agité de passions, comme la nuit elle-même. Espace de temps où, pour la commodité, je prête à Dieu le faciès rayonnant de Lucifer. Tout est Mal. Tout est laideur splendide. Illuminé de feux sombres. Je sens la ville vivre à une cadence de mort par venin. Je sens la ville palpiter dans mes artères. Je suis femme et enceinte d’une ville difforme, vagissante sous les fers. Ce que je veux, ce que je cherche, ce que j’attends, ce que je désire ardemment, nul ne le sait. Moi, moins que tout autre.
Je me recrée une existence sépulcrale dans la cavité de la nuit, le falot du sexe pour point de
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