Sépulcre
d’appréhension, d’impatience et de peur. Les derniers accordages et ajustements, la colophane dont elle frottait les crins d’archet et dont la poudre se répandait sur sa longue jupe noire.
Mary lui avait acheté son premier violon quand elle avait huit ans, juste après qu’elle fut venue vivre avec eux pour de bon. Plus besoin de rentrer chez sa « vraie mère » le week-end. L’étui l’attendait sur le lit de la chambre qui allait être la sienne, un cadeau qui tombait à point nommé pour une petite fille au destin chaotique qui en avait déjà trop vu.
La musique devint son moyen d’évasion et elle ne bouda pas son plaisir. Elle était douée, apprenait vite, travaillait dur. À neuf ans, elle se produisit lors d’une soirée de gala organisée au Milwaukee Ballet Company Studio de Walker’s Point. Très rapidement, elle se mit aussi au piano. Et la musique domina sa vie.
Son rêve de devenir musicienne professionnelle persista durant toutes ses études secondaires, jusqu’à sa dernière année d’université. Ses professeurs, ainsi que Mary, l’encouragèrent à postuler pour entrer au Conservatoire, en lui assurant qu’elle avait une bonne chance de réussir.
Mais à la dernière minute, Meredith flancha. Elle se persuada qu’elle n’était pas assez bonne, qu’elle n’en avait pas l’étoffe. À la place, elle déposa une demande d’inscription à l’université de Caroline du Nord pour se spécialiser en littérature et fut acceptée. Elle enveloppa son violon dans l’étoffe de soie rouge, le coucha dans l’étui doublé de velours bleu, détendit ses précieux archets, les coinça dans le couvercle, rangea le pain de colophane dans son compartiment spécial, mit l’étui au fond de sa penderie et l’y laissa, quand elle quitta le Milwaukee pour entrer à l’université.
Meredith y étudia avec ardeur et obtint son diplôme magna cum laude. Elle jouait encore du piano durant les vacances et donnait des leçons aux enfants des amis de Bill et de Mary, mais c’était tout. Le violon demeura au fond de sa penderie.
Pas un instant elle n’avait regretté sa décision.
Jusqu’à ces deux dernières années. Car à mesure qu’elle découvrait les liens ténus qui la rattachaient à sa famille de sang, le doute s’était mis à la tenailler. Et aujourd’hui qu’à vingt-huit ans, elle était assise là, dans la salle du palais Garnier, un regret poignant lui serrait le cœur.
La musique s’arrêta.
Dans la fosse d’orchestre, quelqu’un rit.
Le présent reprit ses droits. Meredith se leva. Avec un soupir, elle écarta les cheveux de son visage, puis s’en alla en silence. Venue à l’Opéra pour évoquer l’époque de Debussy et son esprit, elle n’avait fait surgir que ses propres fantômes.
Une fois dehors sous le chaud soleil, décidée à chasser son humeur mélancolique, Meredith revint sur ses pas, longea le flanc du bâtiment et remonta la rue Scribe, avec l’intention de couper par le boulevard Haussmann pour gagner le Conservatoire, situé dans le 8 e arrondissement.
Il y avait foule dans les rues et il régnait une atmosphère de carnaval. Tout Paris semblait être de sortie pour goûter à la douceur dorée de ce jour d’octobre, et Meredith dut se faufiler entre les passants pour avancer. Un musicien chantait au coin d’une rue en s’accompagnant à l’orgue de Barbarie. Des étudiants distribuaient des prospectus publicitaires pour des restaurants ou des soldes de vêtements de marque. Un jongleur faisait rebondir un diabolo sur une corde tendue entre deux baguettes, il l’envoyait en l’air à une hauteur vertigineuse avant de le rattraper d’un geste souple ; un camelot vendait des montres et des bijoux fantaisie dans une valise posée par terre.
Son portable se mit à sonner. Meredith fouillait dans son sac pour répondre quand une femme qui venait juste après elle lui tamponna les chevilles avec sa poussette.
— Excusez-moi, madame.
— Non, non. C’est moi, désolée.
Quand elle sortit son téléphone, il avait cessé de sonner. Elle s’écarta de la foule pour consulter la liste de ses appels en absence. C’était un numéro français qui lui disait vaguement quelque chose. Elle allait appuyer sur la touche de rappel automatique quand quelqu’un lui ficha un prospectus dans la main.
— On croirait que c’est vous, pas vrai ?
— Pardon ? fit Meredith, surprise, en relevant la tête.
La fille qui
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