Sépulcre
gauche pour entrer dans l’avenue Velasquez, qui menait au parc Monceau. Après le bruit de la circulation, le silence de cette avenue imposante qui se terminait en impasse semblait presque inquiétant. Le trottoir était bordé de platanes à l’écorce tachetée, dont les troncs étaient presque tous couverts de graffitis. Meredith jeta un coup d’œil aux immeubles d’ambassade blancs, froids, un peu dédaigneux, qui donnaient sur les jardins. Elle s’arrêta pour prendre une ou deux photos, afin de se rappeler la disposition des lieux si jamais la mémoire lui faisait défaut.
À l’entrée du parc Monceau, un panneau annonçait les heures d’ouverture et de fermeture en été et en hiver. Dès que Meredith eut dépassé les grilles en fer forgé pour pénétrer dans les jardins proprement dits, elle n’eut aucun mal à imaginer Lilly, Gaby ou même Debussy lui-même s’y promenant main dans la main avec sa fille, sur les larges allées. Longues robes d’été ondoyantes, dames coiffées de capelines assises sur les bancs en fonte verts en bordure des pelouses. Généraux à la retraite en uniforme, enfants de diplomates jouant au cerceau sous le regard attentif de leurs gouvernantes. À travers les arbres, elle aperçut les colonnes d’une folie imitant le style d’un temple grec. Un peu plus loin se profilaient les statues de marbre représentant les Muses. Des poneys de couleur fauve attachés les uns aux autres promenaient sur leurs dos des enfants excités.
En plein ravissement, Meredith prit des tas de photos. À part les vêtements et les téléphones portables, le parc Monceau avait à peine changé par rapport aux clichés d’avant 1900 qu’elle avait pu voir. Tout était si vivant, si coloré.
Après avoir passé une demi-heure à faire le tour du parc, elle finit par en sortir et se retrouva du côté nord, devant la station de métro. L’entrée de style Art nouveau où était inscrit le nom de la station, Monceau, semblait elle aussi n’avoir pas bougé depuis l’époque de Debussy. Elle prit encore un ou deux clichés, puis traversa le croisement pour pénétrer dans le 17 e arrondissement. Avec ses commerces minables, ses immeubles quelconques, ce quartier lui sembla bien terne, après l’élégance fin de siècle du parc.
Elle trouva facilement la rue Cardinet et identifia l’immeuble où Lilly et Debussy avaient vécu, plus d’une centaine d’années auparavant. De l’extérieur, il était banal à pleurer. Pourtant, dans ses lettres, Debussy parlait avec affection de leur modeste logement, en décrivant les aquarelles, les tableaux à l’huile qui ornaient les murs.
Un instant, elle faillit sonner. Quelqu’un la laisserait peut-être entrer pour jeter un coup d’œil. Après tout, c’était là que Debussy avait composé l’œuvre qui avait transformé sa vie, son seul opéra, Pelléas et Mélisande. Et c’était également là que Lilly Debussy avait voulu mettre fin à ses jours en se tirant une balle dans la poitrine, peu avant leur cinquième anniversaire de mariage, quand elle avait compris que Debussy la quittait pour de bon pour se mettre en ménage avec Emma Bardac, la mère d’une de ses élèves. Lilly avait survécu, mais les chirurgiens n’avaient jamais réussi à enlever la balle. Et c’était peut-être le détail le plus poignant de toute l’histoire, sinon le plus horrible, songeait Meredith. Qu’elle ait dû vivre le restant de ses jours avec ce rappel constant de son ancien amour et de sa trahison, logé en elle, immiscé dans son intégrité physique.
Elle allait appuyer sur l’une des touches de l’interphone quand elle se ravisa. Meredith croyait que les lieux gardaient en eux un peu de l’esprit de ceux qui les avaient occupés. Oui, en certaines circonstances, il pouvait demeurer comme une sorte d’écho du passé. Mais en l’occurrence, trop de temps s’était écoulé : Les briques, le ciment étaient les mêmes, mais en cent ans, tant de gens avaient défilé… Cela faisait trop d’ombres, trop de passages.
Elle reprit la rue Cardinet en sens inverse, sortit la carte, la plia en carré, et se mit en quête du square Claude-Debussy. Là encore, quelle déception ! Des immeubles d’une laideur accablante, avec au coin de la rue une pauvre boutique de troc. Et pas âme qui vive. L’endroit semblait abandonné. En songeant aux élégantes statues du parc Monceau érigées en l’honneur d’écrivains, de peintres,
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