Sépulcre
défilaient comme un petit compteur dans sa tête, Meredith raconta à Mary tout ce qu’elle avait fait depuis leur dernière conversation et tous les endroits qu’elle avait déjà visités depuis son arrivée à Paris. Il y avait un léger décalage entre leurs deux voix, dû à l’appel longue distance.
— Et ton autre projet, où en est-il ? demanda Mary.
— Je n’ai pas encore eu le temps d’y penser. Il y a tellement à faire ici, à Paris. Je m’y mettrai quand je serai à Rennes-les-Bains, après le week-end.
— Ne te fais pas trop de souci, dit Mary avec une hâte qui trahissait sa propre inquiétude.
Elle avait toujours soutenu Meredith dans son besoin de faire des recherches sur son passé. Mais cela n’allait pas sans quelque anxiété, et Meredith ne le comprenait que trop bien, éprouvant la même chose. Comment savoir ce qui remonterait à la surface ? Et s’il s’avérait que les maux qui avaient assombri toute la vie de sa mère naturelle la rattrapaient ? Si elle-même commençait à présenter les mêmes symptômes ?
— Je ne m’en fais pas, rétorqua-t-elle un peu sèchement, et elle s’en voulut aussitôt. Je suis en pleine forme. Plus enthousiaste que jamais. Je te tiendrai au courant. Promis.
Elles parlèrent encore une ou deux minutes, puis se dirent au revoir.
— Je pense à toi.
— Moi aussi, répondit-elle, réconfortée par sa chaleur, en dépit des milliers de kilomètres qui les séparaient.
Le dimanche matin, Meredith se mit en route pour le palais Garnier.
Depuis 1989, Paris disposait d’un nouvel opéra construit à la Bastille, et au palais Garnier, on donnait principalement des ballets. Mais du temps de Debussy, cet édifice à l’exubérance baroque était le rendez-vous mondain par excellence. C’était là qu’avaient eu lieu les célèbres émeutes contre Wagner en septembre 1891, et c’était aussi là que Gaston Leroux avait planté l’intrigue de son roman, Le Fantôme de l’Opéra.
Il lui fallut un bon quart d’heure pour arriver jusqu’au théâtre en zigzaguant entre les groupes de touristes qui cherchaient le Louvre, avant de remonter l’avenue de l’Opéra. Là, elle dut prendre son courage à deux mains avant de se lancer pour traverser le flot houleux de circulation qui la séparait du palais Garnier.
Haletante, elle contempla l’imposante façade, les grandes balustrades, les colonnes en marbre rose, les statues dorées, le toit blanc et or et le dôme en cuivre vert-de-gris qui luisait sous le soleil d’octobre, en essayant de s’imaginer le terrain marécageux sur lequel le théâtre avait été construit. Puis elle chercha à s’abstraire du vacarme frénétique qui l’entourait en se figurant les attelages de l’époque, les femmes en longues robes de soirée, les hommes en haut-de-forme… En vain. L’univers sonore était bien trop strident pour laisser filtrer les échos du passé.
Par contre, elle eut le plaisir de constater que le théâtre était ouvert même en ce dimanche, car on allait y donner un concert au profit d’une œuvre caritative. À l’instant où elle en franchit le seuil, le silence qui y régnait l’enveloppa. Le Grand Foyer était juste comme elle se le représentait d’après les photos qu’elle avait pu voir. Il s’ouvrait devant elle, telle la nef d’une immense cathédrale. Elle contempla le Grand Escalier qui s’élevait sous le dôme en cuivre poli, hésitante.
Avait-elle le droit de pénétrer en ces lieux ? se demanda-t-elle en entendant le crissement de ses baskets sur le marbre. Les portes qui donnaient sur la salle de concerts étaient ouvertes, une discrète invite à laquelle elle ne résista pas longtemps. Elle voulait voir de ses yeux le fameux lustre monumental et le plafond décoré par Chagall.
En contrebas, un quatuor répétait. Meredith se glissa dans la rangée du fond et, l’espace d’un instant, elle sentit tout près d’elle la présence familière d’un certain petit fantôme. Celui de la concertiste qu’elle aurait pu être. La sensation était si vive qu’elle faillit se tourner pour regarder derrière elle.
Comme des arpèges montaient de la fosse d’orchestre pour s’égrener dans les allées vides, Meredith songea à toutes les fois où elle-même avait attendu dans les coulisses, son violon et son archet à la main. Cette sensation aiguë qui lui étreignait le ventre avant de monter sur scène, mélange d’ardeur et
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