Sépulcre
le seul témoin de l’incident étant une alcoolique notoire, on avait réglé le problème en douceur, et les gens avaient interprété les questions de Hal comme la réaction bien compréhensible d’un fils éploré plutôt que comme des remarques fondées.
N’empêche, Julian serait content de le voir déguerpir d’ici. Même sans fondement, dans une petite ville comme Rennes-les-Bains, ce remue-ménage susciterait tôt ou tard une curiosité malsaine et les commérages iraient bon train. Pas de fumée sans feu. Après l’enterrement, Julian espérait bien que Hal quitterait le Domaine de la Cade pour rentrer en Angleterre.
Julian et son frère Seymour, le père de Hal, avaient acquis le domaine en commun, quatre ans plus tôt. Seymour, qui était son aîné de dix ans, s’ennuyait après avoir pris sa retraite et quitté la City, obsédé qu’il était par les prévisions du marché, placements et bénéfices – tout ce qui pouvait accroître son capital. Quant à Julian, il n’avait pas les mêmes préoccupations.
Depuis son premier voyage dans la région en 1997, les rumeurs qui circulaient sur Rennes-les-Bains en général et sur le Domaine de la Cade en particulier l’avaient fortement intrigué. Toute la région grouillait de mystères et de légendes : trésors enfouis, conspirations, histoires à dormir debout sur des sociétés secrètes, tout y passait, des Templiers aux Cathares en remontant jusqu’aux Wisigoths, aux Romains et aux Celtes. Pourtant, ce qui avait le plus excité son imagination remontait juste à la fin du siècle dernier. Des écrits datant de cette période parlaient d’un sépulcre enfoui dans le parc, en terre non consacrée, d’un jeu de tarot peint, agencé comme une sorte de carte au trésor, et de l’incendie qui avait détruit en partie la demeure d’origine.
Au V e siècle, la région de Couiza et de Rennes-le-Château était au cœur de l’Empire wisigoth. C’était un fait attesté. Les historiens et archéologues avaient longtemps avancé des hypothèses selon lesquelles le trésor légendaire pillé par les Wisigoths durant la mise à sac de Rome avait été transporté dans le sud-ouest de la France. À partir de là, les hypothèses tournaient court faute d’éléments. Mais plus Julian avait avancé dans ses découvertes, plus il s’était persuadé que la majeure partie du trésor wisigoth était toujours là. Et que les cartes de tarot, les originales, en étaient la clef.
C’était devenu une obsession. Il avait déposé des demandes de permis pour faire des fouilles et tout son argent, ses ressources étaient passés dans ces recherches, dont le résultat s’était révélé limité : quelques objets funéraires, épées, boucles de ceinture, gobelets – rien de spécial. Quand son permis avait expiré, il avait continué à creuser en toute illégalité, gagné par une sorte d’ivresse semblable à la folie du jeu. Et il demeurait convaincu que ce n’était qu’une question de temps.
Lorsque l’hôtel avait été mis en vente quatre ans plus tôt, Julian avait persuadé Seymour de faire une offre. Curieusement, malgré leurs disparités, ils avaient réussi à monter une affaire fructueuse et leur partenariat s’était relativement bien déroulé jusqu’à ces derniers mois, quand Seymour s’était mêlé de la gestion de l’hôtel. Et qu’il avait demandé à consulter les livres de comptes.
Un ardent soleil dardait ses rayons sur la pelouse, et le vieux bureau aux hautes fenêtres du Domaine de la Cade était inondé de lumière. Julian contempla le tableau accroché au mur, au-dessus de son secrétaire. C’était un ancien symbole de tarot, ressemblant à un huit couché. Le symbole de l’infini.
— Tu es prêt ?
Julian se retourna. Son neveu se tenait sur le seuil, en costume et cravate noirs, sa tignasse noire peignée en arrière pour dégager son front. Il avait beau approcher la trentaine, avec ses larges épaules, sa peau claire, Hal ressemblait au sportif accompli qu’il était du temps de ses études. Un rugbyman doublé d’un joueur de tennis hors pair.
Julian écrasa sa cigarette dans le cendrier en verre posé sur le bord de la fenêtre, puis avala d’un trait le reste de son whisky. Vivement que l’enterrement soit fini et que les choses retournent à la normale. Il en avait plus qu’assez de voir Hal traîner ses guêtres par ici.
— Laisse-moi deux minutes, dit-il. Je te rejoins tout de
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